Le Nucléaire est à la mode – De quoi doit-on s’inquiéter?

Depuis le lobbying médiatique consensuel (bonjour Jancovici!) et la « crise » de l’énergie, critiquer le nucléaire devient périlleux, sauf à vouloir apparaître comme un revendeur de bougies! La crise énergétique est pourtant de nature stratégique, de par les choix ou non-choix des derniers gouvernements dans la logique de l’U.E: une absence de planification imposant un effort de recherche-développement, de programmation d’alternatives et de sobriété, de réunification d’un service public de l’électricité au lieu d’une ouverture à la concurrence de revendeurs intermédiaires…Planifier et sortir des mécanismes concurrentiels est à l’évidence une réponse structurelle à entendre, mais la réponse étonnante la plus entendue est: « il faut plus de nucléaire », comme si cette énergie était banalisée et sans effets…

  • Pourtant, et curieusement, ce sont ceux qui y travaillent qui lancent l’alerte régulièrement sur le plan sanitaire: les installations menaceraient-elles sécurité et sûreté du fait de la sous-traitance, avec la perte de compétences des employés et moindres exigences de législation et d’encadrement? (exemple récent d’un salarié qui aurait débranché une balise de radioprotection parce que l’alarme le dérangeait, 46 salariés exposés…incident classé globalement 0 échelle INES, le seuil étant au moins de 2 pour s’inquiéter des salariés en surexposition…mais en deçà, quels dommages sanitaires pour ceux exposés?) ARTICLE
  • Dans le même sens aussi, des voix s’élèvent pour reconsidérer la portée des risques de faibles radiations pour ceux qui y travaillent: « Pour Annie Thébaud-Mony, directrice de recherches honoraires à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et spécialiste en santé publique, les effets biologiques des radiations ionisantes sont plus complexes et plus diversifiés que ce qu’ont montré les observations réalisées sur les survivants des bombardements atomiques au Japon, qui servent pourtant de référence. » LIRE HIROSHIMA. Annie Thébaut-Mony : « Le risque des faibles doses de radiations doit être réévalué » – Sciences et Avenir

A ce propos, une tribune récente et très intéressante a été publiée -texte ci-dessous de Marie Ghis Malfilatre et Annie Thébaud-Mony – on peut aussi la retrouver publiée sur ce lien: sur Le Monde

EXTRAITS – « A l’heure où le gouvernement souhaite faciliter la construction de nouveaux EPR, les citoyens seront-ils informés du véritable coût humain et financier de l’énergie nucléaire ? »- « Si la sous-traitance permet ainsi aux exploitants nucléaires de rendre invisible le travail humain exposé à la radioactivité, indispensable à la sûreté nucléaire dans la maintenance, le démantèlement et la gestion des déchets, elle invisibilise donc aussi ses conséquences sanitaires. Or le coût humain et financier pèse très lourd non seulement sur les victimes et leurs familles, mais aussi sur la collectivité qui assume les charges des maladies professionnelles graves non reconnues comme telles. »

Depuis les années 1970, les opérations les plus exposées à ce risque redoutable (cancérogène, mutagène, toxique pour la reproduction) sont assurées par des salariés d’entreprises sous-traitantes intervenant dans les installations nucléaires.

L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire dénombre aujourd’hui près de 33 000 salariés sous-traitants, qui supportent plus de 80 % de la dose collective reçue chaque année dans le parc nucléaire. Les salariés sous-traitants les plus exposés sont les ouvriers et les techniciens des usines de fabrication du combustible et de retraitement des déchets nucléaires, ceux de la maintenance des centrales EDF ou encore ceux chargés du démantèlement, du transport et de la gestion des déchets.

Ce choix des entreprises publiques de la filière nucléaire en France de sous-traiter à des salariés dits « extérieurs » les opérations les plus exposées est une manière de se donner les moyens de respecter les doses limites imposées par les règles de radioprotection et de préserver les agents statutaires d’une dangereuse augmentation de leur exposition. Or les salariés les plus exposés, à savoir les travailleurs extérieurs, rencontrent de grandes difficultés à faire entendre leurs voix et faire valoir leurs droits, en particulier leur droit à la réparation en cas d’atteinte à la santé.

LIRE LA TRIBUNE

« Alors que débute mardi 17 janvier l’examen par le Sénat du projet de loi permettant d’accélérer les procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites déjà existants, comme c’est le cas pour les deux premiers EPR prévus à Penly (Seine-Maritime), le compte à rebours démocratique est lancé.

Dans ce contexte, la Commission nationale du débat public (CNDP) a souhaité organiser dix rencontres publiques en préalable à la décision de construire six nouveaux réacteurs nucléaires de type EPR 2 en France. Sur ces dix rencontres, elle n’a souhaité consacrer que quatre minutes à l’enjeu des conditions de travail dans ce secteur industriel.

Ainsi, la réunion organisée jeudi 12 janvier au Tréport, à quelques kilomètres de Penly, site pressenti pour accueillir les deux premiers EPR, devait précisément aborder les conséquences sur le travail et l’emploi de la réalisation de ce projet de loi.

Parmi les différentes questions relevant du travail et de l’emploi, celle des risques professionnels ne figurait pourtant pas à l’ordre du jour.

En effet, symbole de la grandeur technologique de la France et de sa maîtrise scientifique, l’industrie nucléaire se caractérise aussi par un indispensable travail humain exposé au risque radio-induit. Depuis les années 1970, les opérations les plus exposées à ce risque redoutable (cancérogène, mutagène, toxique pour la reproduction) sont assurées par des salariés d’entreprises sous-traitantes intervenant dans les installations nucléaires.

L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire dénombre aujourd’hui près de 33 000 salariés sous-traitants, qui supportent plus de 80 % de la dose collective reçue chaque année dans le parc nucléaire. Les salariés sous-traitants les plus exposés sont les ouvriers et les techniciens des usines de fabrication du combustible et de retraitement des déchets nucléaires, ceux de la maintenance des centrales EDF ou encore ceux chargés du démantèlement, du transport et de la gestion des déchets.

Ce choix des entreprises publiques de la filière nucléaire en France de sous-traiter à des salariés dits « extérieurs » les opérations les plus exposées est une manière de se donner les moyens de respecter les doses limites imposées par les règles de radioprotection et de préserver les agents statutaires d’une dangereuse augmentation de leur exposition. Or les salariés les plus exposés, à savoir les travailleurs extérieurs, rencontrent de grandes difficultés à faire entendre leurs voix et faire valoir leurs droits, en particulier leur droit à la réparation en cas d’atteinte à la santé.

En France, la loi du 1er janvier 1931 a en effet créé le tableau n° 6 des maladies professionnelles au terme de vifs débats scientifiques et parlementaires. Dans cette période de l’entre-deux-guerres, le risque radioactif concernait surtout des scientifiques et des médecins. En quatre-vingt-dix ans d’existence, le tableau des maladies professionnelles n’a connu que quatre révisions, la dernière remontant à 1984.

Un postulat scientifiquement faux

Et si le nombre de personnes exposées au risque professionnel radioactif a bondi dans la seconde moitié du XXe siècle, passant pour le seul cas de la France de quelques dizaines avant la seconde guerre mondiale à près de 400 000 aujourd’hui, le nombre de reconnaissance en maladie professionnelle au titre du tableau n° 6 reste quant à lui étonnamment stable. Selon les données de la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM), depuis les années 1950, entre quinze et vingt cas de cancers radio-induits sont ainsi reconnus chaque année en France.

La gestion du risque radioactif (commune à la plupart des pays nucléarisés, tels le Japon ou les Etats-Unis) repose en effet sur un postulat scientifiquement faux : l’absence de danger des faibles doses de radiation. L’épidémiologie a pourtant montré les liens entre très faibles doses et survenue de décès précoces par cancer chez les travailleurs de l’industrie nucléaire.

Résultat, seulement trois pathologies cancéreuses radio-induites sont inscrites au tableau n° 6 du régime général des maladies professionnelles, concernant les pathologies radio-induites. Pourtant, la loi Morin relative aux essais nucléaires français conduits au Sahara et en Polynésie entre 1960 et 1996 en indemnise vingt-trois ; et la loi américaine en admet vingt-deux. A l’évidence, de nombreux cas de cancers professionnels radio-induits sont donc reconnus outre-Atlantique et pas en France.

Si la sous-traitance permet ainsi aux exploitants nucléaires de rendre invisible le travail humain exposé à la radioactivité, indispensable à la sûreté nucléaire dans la maintenance, le démantèlement et la gestion des déchets, elle invisibilise donc aussi ses conséquences sanitaires. Or le coût humain et financier pèse très lourd non seulement sur les victimes et leurs familles, mais aussi sur la collectivité qui assume les charges des maladies professionnelles graves non reconnues comme telles.

Cette sous-reconnaissance soulève par conséquent une question cruciale : à combien s’élèveraient les factures d’électricité si le prix de l’énergie nucléaire incluait le coût de la réparation des maladies professionnelles radio-induites qui échappent aujourd’hui à la reconnaissance ?

Mais l’enjeu n’est pas seulement celui de la réparation des atteintes radio-induites. Le choix de sous-traiter la maintenance des installations nucléaires représente aussi une menace pour la sûreté nucléaire elle-même.

La multiplication des interventions, faites de plus en plus souvent dans des conditions de travail dégradées et dans l’urgence, conduit les travailleurs concernés à gérer d’innombrables injonctions contradictoires, entre qualité du travail et respect des délais d’intervention, entre réalisation des objectifs et tentatives de limiter l’exposition radioactive.

Ces salariés se qualifient eux-mêmes de « liquidateurs » (du nom de ceux qui sont intervenus après les accidents nucléaires de Tchernobyl et Fukushima) ou de travailleurs « sacrifiés ». A l’heure où le gouvernement souhaite faciliter la construction de nouveaux EPR, les citoyens seront-ils informés du véritable coût humain et financier de l’énergie nucléaire ? »

Marie Ghis Malfilatre est sociologue postdoctorante au laboratoire Pacte de l’université de Grenoble-Alpes, spécialiste des conditions de travail dans l’industrie nucléaire.

Annie Thébaud-Mony est sociologue et directrice de recherche honoraire à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).

Quelques  liens pour approfondir
https://www.can-ouest.org/les-faibles-doses-2042016/
https://www.cairn.info/revue-travail-et-emploi-2016-3-page-101.htm

 

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