Un de nos articles précédents parlait de l’extractivisme pour la recherche de minéraux critiques et de « terres rares » à Madagascar (Cobalt/ Graphite/Nickel/ETR…): Extractivisme – des documents inspirants pour mieux comprendre les enjeux.
Sans doute faut-il, à la lumière de l’énorme intérêt citoyen manifesté pour l’Enquête publique sur le projet d’extraction de lithium dans l’Allier en France par Imerys, et en rapport avec l’actualité de revendication du Groenland par Trump, revenir sur la connaissance basique de ce que l’on appelle « minéraux critiques » ainsi que « terres rares »: ce document entend les définir Les Minéraux Critiques : Fiche informative …la notion de criticité peut changer au fil du temps selon les « besoins » de la société et la disponibilité de l’offre, mais également selon les pays en fonction de l’abandon des combustibles fossiles; en cela ces « matières premières » sont surtout d’intérêt stratégique selon leur accessibilité et les risques liés à l’approvisionnement. 17 éléments métalliques de la table chimique constituent eux, les « terres rares »(ETR), ainsi appelées en raison – non de leur rareté sur terre – mais en raison de difficultés d’extraction et de complexité des processus pour les traiter.
La criticité est donc en rapport avec la demande qui est croissante pour la transition vers les « énergies propres » et la réduction des émissions de carbone: technologies énergétiques et décarbonisation, efficience énergétique et consommation durable, numérisation, mobilité électrique, applications industrielles, infrastructure et construction…ce qui questionne forcément les choix politiques en matière de « besoins » et de pratique de la sobriété énergétique. Les pages 5 et 7 du document cité plus haut vous donneront les quantités et les usages, ainsi que les lieux d’approvisionnement.
En débat – La vulgarisation accessible permet également d’isoler un des « besoins » – ici les éoliennes par exemple, nécessitant des terres rares pour l’aimantation permanente – et de le considérer par rapport à la demande qu’il génère dans le domaine précédemment évoqué: « Les terres rares, c’est quoi ? – L’Esprit Sorcier » VIDEOS – On peut citer aussi un article traitant des conditions d’extraction, par la Chine au Myanmar, de deux métaux lourds (Dysprosium et Terbium), « nous comptons sur eux pour toute une gamme de produits d’énergie propre et de technologies intelligentes – du smartphone que vous utilisez peut-être pour lire cet article à vos appareils électroniques domestiques économes en énergie. Mais leur utilisation la plus importante, qui représente 90 % de leur valeur, est celle des aimants permanents, qui sont nécessaires à la fabrication de moteurs et de générateurs pour les véhicules électriques et les éoliennes. » Les montagnes empoisonnées du Myanmar | Global Witness .
Tout ceci ne fait que s’intensifier, qu’on en juge par la volonté de D.Trump d’annexion du Groenland dans la course géopolitique mondiale d’appropriation de ces ressources (Nickel, or, fer, zinc, métaux rares, uranium… Le Sud du Groenland regorge de richesses Groenland : à l’heure du choix – Regarder le documentaire complet | ARTE VIDEO)…Une étude universitaire fouillée est à lire, on peut se contenter de sa conclusion et de son excellente cartographie en annexes: « L’exploitation des terres rares au Groenland : Enjeux et risques pour l’environnement« .
Bien entendu, les associations pluralistes participent au débat si actuel de l’extractivisme et des terres rares: on peut citer Les Amis de la terre, dont le site propose quelques constats et analyses: Recherche | Les Amis de la Terre / appelant à remettre en cause nos modes de consommation et encadrer l’industrie des nouvelles technologies. rapport-extractivisme-web.pdf Un important rapport, loin d’être démodé, pose la question: « Creuser et forer », pour quoi faire?, interrogeant nos pratiques, l’obsolescence et le recyclage.
Et maintenant, où en sommes-nous pour le lithium de l’Allier, projet stratégique d’intérêt majeur pour la France? La concertation continue…Le débat public a été riche et 533 contributions ont été publiées sur le site de la CNDP, dont plusieurs cahiers d’acteurs, preuve de la vivacité citoyenne sur un sujet d’extractivisme en France. Tous les éléments sont publiés, tant le débat lui-même que la décision d’Imerys et RTE de poursuivre le projet Emili par la concertation: Les enseignements du débat | CNDP / décembre 2024: communiqué d’Imerys Imerys poursuit le projet EMILI et met à l’étude plusieurs propositions issues du débat public | Imerys / A consulter, la conclusion de l’Autorité Environnementale.
Les enjeux sont tels que POLITIS publie un article (abonnés) sur le sujet: https://www.politis.fr/articles/2025/01/reportage-ecologie-dans-lallier-le-lithium-mine-la-transition/ ( Face à l’objectif d’électrification du parc automobile européen, ce métal mou aiguise l’appétit de plusieurs projets industriels en France. Une course à l’exploitation minière qui semble ignorer les principes de sobriété et de nombreux enjeux écologiques.), et recommande aussi un livre: ( Une nouvelle ruée minière a lieu dans le monde, au nom de la transition énergétique. Une fausse solution et des politiques mensongères que décrypte la journaliste et philosophe Celia Izoard.) https://www.politis.fr/articles/2025/01/entretien-celia-izoard-mine-exploitation-ce-modele-est-intrinsequement-predateur-et-destructeur/
En forme de conclusion provisoire de cet article sur les minerais critiques et terres rares, nous terminons par une actualité citoyenne: « La ruée de l’UE sur les « matières premières » de l’Europe nécessite un contrôle citoyen. « À l’occasion de la Semaine européenne des matières premières 2024 à Bruxelles, un groupe d’organisations de la société civile, d’universitaires et d’organismes de veille citoyenne lance un « Observatoire des minerais critiques« . https://corpwatchers.eu/fr/enquetes/criticalmineralsobservatory/
A lire, ci-dessous, leur Manifeste:
Manifeste : L’urgence d’un observatoire critique sur les matières premières
En mai 2024, le règlement sur les matières premières critiques de l’Union européenne est entré en vigueur, avec pour objectif de garantir « l’accès à un approvisionnement sûr et durable en matières premières critiques ». Cette législation s’inscrit dans le cadre d’une stratégie politique plus large visant à garantir l’accès aux minerais dans un contexte d’augmentation de ses besoins croissants et de concurrence avec la Chine, les États-Unis et d’autres rivaux géopolitiques.
L’adoption de cette législation a fait l’objet d’un large consensus, car elle a été présentée comme nécessaire pour parvenir à un déploiement rapide des énergies renouvelables et d’autres technologies propres afin d’atteindre les objectifs de l’UE en matière de climat.
Toutefois, l’empressement de l’Europe à « sécuriser » un accès aux minerais critiques présente un certain nombre de risques et de problèmes. Les garanties sont très faibles – voire inexistantes – pour s’assurer qu’elle n’aboutisse pas à des résultats problématiques en termes d’environnement, de démocratie ou de droits humains, et qu’elle conduise à une transition socio-écologique juste à l’échelle mondiale.
- Avant tout, qui paiera le prix de cette nouvelle ruée minière en Europe et – probablement surtout – dans le reste du monde ? Quels seront les impacts pour les communautés locales en termes de pollution, de perte de droits et de moyens de subsistance, de perturbations sociales et économiques ? La politique européenne sur les minerais critiques sera-t-elle utilisée pour faire taire les critiques et réprimer les oppositions, sapant la démocratie dans les pays où les entreprises et les capitaux européens opèrent, voire en Europe même, comme le suggère le projet de lithium de Rio Tinto en Serbie ?
- Qui bénéficiera réellement de cette rusée minière ? Quelles seront les utilisations réelles des minerais critiques, et dans quel sens sont-ils vraiment « critiques », et pour qui ? Depuis de nombreuses années, les entreprises européennes et non-européennes font pression en faveur de nouvelles exploitations minières et de la suppression des mesures de protection de l’environnement, et leur adhésion à la transition énergétique est au moins en partie opportuniste. Il existe de nombreuses preuves que d’autres industries – y compris l’industrie de la défense et des industries très polluantes comme le secteur aérospatial – ont joué un rôle clé dans l’élaboration des politiques européennes sur les minerais critiques.
- La poussée minière de l’Europe atteindra-t-elle réellement ses objectifs supposés, que ce soit en termes de bénéfices pour le climat ou en termes d’indépendance et de résilience économiques ? L’intensification de l’exploitation minière n’entraînera-t-elle pas automatiquement une augmentation des émissions de gaz à effet de serre, annulant ainsi les avantages potentiels des technologies vertes ? Cela profitera-t-il réellement à l’économie européenne et à ses travailleurs, ou aux actionnaires d’entreprises mondiales qui, dans de nombreux cas, ne sont même pas basées dans l’UE ? Cela ne rendra-t-il pas la transition énergétique et le Green Deal encore moins populaires parmi les communautés concernées ?
- Le Règlement sur les minerais critiques et d’autres politiques européennes telles que la Global Gateway vont-elles mettre l’Union et sa politique internationale encore plus au service des intérêts des grandes entreprises, en contradiction avec ses valeurs affichées de démocratie, de droits et d’action pour le climat ?
Tous ces risques et dangers sont liés les uns aux autres.
Le discours dominant sur les minerais critiques est plein de failles et d’omissions. Nous ne pouvons pas nous permettre de nous fier uniquement au battage médiatique et aux narratifs de l’industrie. Nous avons besoin d’un débat public et citoyen contradictoire et d’une véritable redevabilité afin d’éviter le scénario très possible d’une augmentation des profits des entreprises au détriment de zones de sacrifice toujours plus nombreuses, sans la moindre preuve que les émissions de gaz à effet de serre diminueront, que les Européens en profiteront et que l’Europe deviendra plus résiliente sur le plan économique.
L’UE joue un rôle particulier dans la course aux matières premières puisqu’elle est complètement dépendante de ses partenaires extérieurs et qu’elle fait donc pression pour obtenir des politiques qui garantissent l’accès aux matières premières, par exemple de nouveaux accords de libre-échange, tout en mobilisant des fonds publics pour encourager les investissements du secteur privé, souvent au profit des multinationales.
L’Observatoire des minerais critiques sera un centre de connaissances et un espace critique ouvert permettant d’échanger des idées et des ressources, d’aider à partager ces informations plus largement, de développer des apprentissages communs et de nouvelles recherches en collaboration. L’Observatoire se penchera sur les stratégies des multinationales et des gouvernements (du Nord) pour sécuriser les approvisionnements en minerais critiques au nom de la transition énergétique