entretien à trois sur l'agriculture

Notre modèle d’agriculture est-il à bout de souffle ?

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324465 Image 2 avec Jean Mouzat Président du Modef national: La concurrence du libre marché érigée en dogme,  Laurent Pinatel Porte-parole de la Confédération paysanne: L’agrobusiness se porte bien, très bien même et Xavier Compain Membre du Conseil national du PCF chargé de l’agriculture: Un vaste plan social qui n’en porte pas le nom.

A SUIVRE : LES TROIS INTERVENTIONS
La concurrence du libre marché érigée en dogme par  Jean Mouzat Président du Modef national
Nous connaissons depuis plusieurs années une crise agricole sans précédent. Nous sommes à la croisée des chemins entre un système agricole libéral, basé sur des fermes-usines appartenant à des investisseurs extérieurs qui ont pour but de casser les coûts de production pour augmenter la charge de travail des agriculteurs, et un système agricole familial, basé sur des exploitations à taille humaine où les agriculteurs sont maîtres de leur outil de production et s’insèrent dans la vie d’un territoire.
L’élément clef entre ces deux systèmes est le prix. Voulons-nous que les agriculteurs puissent vivre de leur travail en obtenant un prix qui les rémunère ou cherchons-nous à ce que les agriculteurs s’adaptent à un marché mondial ultralibéral qui fait la course au moins-disant ?
Sans vision sur l’avenir proche, nombre d’exploitants familiaux cessent leur activité. Selon la MSA, en 2014, le nombre de départs d’exploitants en retraite anticipée (qui font valoir leurs droits avant de pouvoir bénéficier d’une retraite à taux plein) a bondi de 25 % en moyenne. On peut imaginer que, en 2015, ce mouvement s’est accéléré, tout comme les cessations d’activité d’exploitants plus jeunes qui rejoignent les rangs des demandeurs d’emploi. Aujourd’hui, les agriculteurs sont unanimes et demandent des prix rémunérateurs, comme le revendique le Modef depuis des décennies. La PAC 2014-2020 a abandonné, a démantelé la quasi-totalité des outils de régulation des prix et des marchés, au nom du libre marché et de la libre concurrence. Or, pour agir sur les prix, il faut enfreindre les règles de la libre concurrence et du libre marché érigées en dogmes car le libre marché est incompatible avec la production agricole : sur les marchés à terme, moins de 3 % des contrats aboutissent à une transaction physique. La spéculation boursière sur les matières premières agricoles a pris le pas sur les marchés physiques, il n’est plus un indicateur fiable.
Le marché réagit à la vitesse des liaisons Internet. La production a des contraintes de saison, de durée de culture ou d’élevage, de capacité des sols à produire, de maturité… L’agriculture n’est pas une usine où on peut appuyer sur un bouton pour augmenter ou ralentir la cadence de production. L’exemple de la crise de la grippe aviaire est saisissant. La mise en place d’un vide sanitaire de 21 jours a pour effet de cesser la production de foie gras durant plus de 120 jours.
Les produits agricoles sont des produits stratégiques puisqu’ils sont destinés à satisfaire les besoins vitaux des êtres humains. Pour un pays, maîtriser son alimentation est une garantie d’indépendance. Le marché est dirigé par les multinationales de l’agroalimentaire et de la grande distribution. Du fait de leur taille et des volumes traités, elles imposent aux exploitants leurs prix et leurs conditions d’achat.
La table ronde de juin 2015 initiée par le ministre de l’Agriculture s’était conclue par un accord sur des augmentations de prix. Mais, sitôt l’accord obtenu, les acteurs de la filière, à tour de rôle, déclaraient au fil des jours qu’ils ne le respecteraient pas. Ainsi est démontré qu’il est complètement illusoire de compter sur la solidarité de la filière pour obtenir un juste partage des marges. Le plan de sauvegarde de l’élevage mis en œuvre par le gouvernement était nécessaire pour passer le cap de l’année dans l’attente d’un redressement des cours. Mais ces aides, aussi importantes soient-elles, ne règlent pas le problème de fond qui est celui du prix. Le gouvernement français, s’il veut qu’il y ait encore demain une agriculture diversifiée, riche en emplois, répartie sur le territoire national, n’a pas d’autre choix que de prendre des mesures de sauvegarde de notre agriculture. Il faut obtenir du Conseil européen et de la Commission une exemption des règles de la libre concurrence pour les produits agricoles afin de pouvoir réguler le prix.
 L’agrobusiness se porte bien, très bien même par Laurent Pinatel Porte-parole de la Confédération paysanne
Et si on arrêtait de prendre les paysans pour des imbéciles ? Oui, notre modèle agricole est à bout de souffle. Alors pourquoi vouloir le cacher ? Y aurait-il des intérêts supérieurs au devenir des paysans qui justifieraient qu’on continue cette course vers toujours plus de litres de lait par vache, plus de kilos de viande par animal, plus de quintaux de céréales par hectare ? Et toujours moins de paysans et de paysannes…
Dans les années 1960, les politiques publiques ont encouragé les paysans à produire plus pour nourrir une Europe balbutiante et pas encore autosuffisante. Bons élèves, les travailleurs de la terre ont rapidement atteint les objectifs : produire plus, moderniser, agrandir les fermes… et mettre en place un transfert de main-d’œuvre de la campagne vers la ville. Si la modernisation a d’abord fait du bien dans les fermes (il y a peu de regrets aujourd’hui pour la traite ou la fauche à la main), elle s’est ensuite emballée au point de créer une rupture entre le paysan et son métier. Le système libéral a profité de ces moyens mis à disposition pour la nécessaire modernisation de l’agriculture pour financiariser le secteur et priver les paysans de l’exercice même de leur métier.
Depuis des décennies, on promet un métier moins harassant physiquement, des récoltes plus sûres, des débouchés assurés, mais à une condition : il faut investir, moderniser, industrialiser en fait… inexorablement. Nous devons acquérir du matériel, des semences, des engrais, des pesticides, passer des contrats, et aller voir la banque, souvent, trop souvent… Mais nulle inquiétude à avoir, tout devait bien se passer…
Pourquoi avoir menti à ce point ? Pourquoi industriels et pouvoirs publics se sont-ils donné la main pour s’assurer de la disparition de centaines de milliers de paysans ?
Ce processus d’industrialisation de l’agriculture s’est déroulé dans un cadre de cogestion de l’agriculture par la FNSEA et le ministère, et le pluralisme syndical instauré dans les années 1980 n’y a rien changé. Rendez-vous présidentiel à la veille des annonces sur la politique agricole commune, rallonge au plan de soutien à l’élevage annoncée sur le perron de Matignon… Les exemples ne manquent pas ces dernières années où Xavier Beulin, président de la FNSEA, semblait prendre les décisions pour l’avenir de l’agriculture, ou du moins les souffler sans discrétion aucune aux oreilles de nos dirigeants. Mais souffle-t-il des demandes pour l’avenir des paysans, ou pour l’avenir de son business, lui le président de Sofiprotéol-Avril ?
Tout le secteur agricole n’est pas en crise aujourd’hui. L’agrobusiness se porte bien, très bien même. Nous vendons des semences au monde entier, nous exportons du lait en Chine et de la viande en Turquie, et notre gastronomie est inscrite au patrimoine mondial de l’humanité ! En fait, tout va bien, sauf pour les paysans qui disparaissent, sauf pour l’alimentation qui se dégrade, sauf pour les territoires qui se vident, sauf pour les sols qui s’épuisent, sauf pour le climat qui se dérègle. On s’est servi des paysans pour faire de l’agriculture un énorme business rentable, un de ceux avec lequel on peut se battre contre des super-puissances en négociant des accords de libre-échange. Maintenant, on n’a plus besoin de paysans, juste de travailleurs à façon pour l’agro-industrie. Mais, on peut encore se battre, les pouvoirs publics peuvent encore prendre leurs responsabilités pour renverser la balance, les citoyens peuvent se mobiliser pour leur alimentation. Nous n’avons pas besoin de milliards en plus pour stopper la crise et l’empêcher de se reproduire, nous avons besoin d’une réelle politique agricole et alimentaire. L’agriculture n’est pas l’affaire des paysans face aux agrobusinessmen. C’est une affaire de démocratie.
 Un vaste plan social qui n’en porte pas le nom  par  Xavier Compain Membre du Conseil national du PCF chargé de l’agriculture
Un mois que les éleveurs français mobilisés expriment leurs colère et inquiétudes. Un vaste plan social qui n’en porte pas le nom guette les producteurs et plus globalement l’élevage français. Le diagnostic est connu, démantèlement des outils de régulation, libéralisation des marchés, dumping social, concentration de l’agriculture au profit des géants de l’agroalimentaire et de la grande distribution. Faute d’affronter le sujet de prix agricoles rémunérateurs, comme celui des travailleurs détachés en Europe, les mesures gouvernementales de l’été dernier n’auront été qu’incantatoires ! C’est donc vers un autre chemin, celui du progrès humain, de l’appropriation sociale, des biens communs, qu’il faut faire route à gauche et avec courage. Face aux défis est posée l’émergence d’un nouveau mode de développement social et écologique. L’enjeu alimentaire interpelle nos civilisations.
Notre combat est celui d’en finir avec la faim. Notre croissance est celle d’un développement en faveur d’une alimentation de qualité, saine et accessible à toutes et tous, assise sur des productions relocalisées. Pour répondre au défi climatique, un nouveau modèle agricole, rémunérateur pour ces travailleurs, doit promouvoir la valorisation, la transformation et la vente au plus près des consommateurs.
À tous les niveaux, monde, Europe, France, les politiques agricoles et alimentaires doivent planifier la production, se réapproprier la régulation des marchés et accompagner la transition écologique de l’agriculture. En France, repenser le territoire est devenu indispensable. À l’inverse des logiques capitalistes actuelles qui concentrent et marginalisent, la ruralité doit devenir attractive. Il est urgent de réinvestir les départements ruraux en faisant le pari de l’agriculture paysanne, de la pêche artisanale, de l’artisanat, du développement des savoir-faire. Le redéploiement du transport et de services publics au service des territoires et populations en est la condition. Les communistes font des propositions dans leur texte de projet intitulé « La France en commun ». À travers une série de chantiers prioritaires, nous tentons de dire ce qu’il nous semble essentiel de porter, de confronter, et devrait s’engager en actions de gouvernement de gauche. En ce sens, nous voulons reconstruire une production nationale qui réponde aux besoins. Nous proposons la création de fonds au soutien de l’agriculture paysanne, aux filières alimentaires relocalisées, à l’installation de jeunes paysans, à la transition écologique du modèle de production agricole.
Ces mesures sont pour nombre d’entre elles au cœur des programmes, mandatures des élu(e)s PCF. Il nous est posé l’exigence de vulgariser ces expériences de relocalisation menées, de développer les ventes paysans/consommateurs aux prix justes,montrer comment nous sommes éco-communistes en partant de l’alimentation et du projet agricole que nous proposons.
Avec « la France du commun », ces mesures d’urgence, si nous étions en responsabilité dans un gouvernement de gauche, font écho dans l’actualité. Parce que nous sommes communistes, nous ne remettons pas à demain pour (tout) changer mais voulons agir dès maintenant dans l’intérêt général. En effet, la proposition de loi déposée en septembre 2015 par nos parlementaires est à disposition pour apporter de vraies solutions aux éleveurs. Nous proposons de légiférer sur la réduction des marges et pratiques abusives dans la grande distribution. Les prix agricoles doivent faire l’objet de négociations annuelles et pluralistes à travers des conférences sur les prix. L’indication d’origine des produits agricoles et de la mer, transformés ou non, doit être appliquée. Face aux crises climatiques et sanitaires, les activités du vivant doivent être protégées par un régime mutuel. Pour affirmer sa souveraineté alimentaire, l’Europe doit se doter d’outils de gestion, réaffirmer le besoin de planification (stocks de sécurité alimentaire), mettre en place des prix indicatifs, conquérir de nouveaux droits sociaux pour les travailleurs de l’agriculture. Ce qui sera au cœur des batailles et initiatives menées en 2016 avec le Parti de la gauche européenne. Oui, un nouveau modèle agricole est possible. Intervention populaire, renforcement et convergence des luttes, conquête électorale et majorité d’idées sont les conditions de son émergence.

 

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