ENERGIE – Hydrogène, Vous avez dit hydrogène ?

Un article de contribution à la réflexion – Un soudain engouement européen pour l’hydrogène oblige à essayer de clarifier l’actualité de cet élément promu maintenant par les médias comme la 7ème merveille de notre avenir.

L’hydrogène premier élément de la classification de Mendeleïev est très abondant sur terre, sous forme atomique (eau, hydrocarbures, …) mais rare à l’état naturel sous forme moléculaire.

Il est surtout le seul combustible non carboné, donc non producteur de CO2 au cours de sa combustion et donc susceptible de participer aux objectifs mondiaux de réduction des gaz à effet de serre parmi lesquels la principale cible est la réduction du dioxyde de carbone CO2.

1.       Engouement européen

En mars 2020 la Commission européenne définissait une nouvelle stratégie industrielle pour l’Europe (comprenons l’Union européenne)[1] dont un des fondamentaux consistait à « Soutenir l’industrie sur la voie de la neutralité climatique » et affirmait que la réduction des émissions dans l’industrie dépendrait d’un principe de primauté de l’efficacité énergétique, primauté qui nécessiterait une approche plus stratégique à l’égard des industries des énergies renouvelables.

Très rapidement à la suite de l’annonce de cette nouvelle stratégie industrielle de l’Europe la Commission européenne énonçait sa vision pour un hydrogène propre, et définissait sa stratégie de l’hydrogène pour une Europe climatiquement neutre [2], l’hydrogène étant considéré par la Commission européenne comme pouvant servir de matière première, de carburant, de vecteur énergétique et de solution de stockage, son utilisation ne causant pas d’émissions de CO2 et pratiquement pas de pollution atmosphérique.

Ce document essaie de synthétiser les raisons qui poussent l’Europe à miser sur l’hydrogène pour respecter son objectif de neutralité carbone d’ici à 2050.

La France, en bon élève européen, suit le mouvement en semblant oublier que l’utilisation industrielle de l’H2, en France, date de plus de 50 ans mais commence tout d’abord par rappeler les tous premiers éléments qui peuvent appuyer cette décision.

2.       Quelques rappels concernant l’H2

2.1   Caractéristiques générales de l’hydrogène  [3]

Il est inodore, ce qui est un facteur de risque, sa flamme est incolore, ce qui présente un inconvénient (invisible donc non détectable visuellement) et un avantage (la chaleur ne rayonne pas, donc a moins de risque d’enflammer d’autres objets ou surface à proximité).

Il n’est pas toxique.

L’H2 présente certaines caractéristiques qui induisent des risques spécifiques en matière de sécurité́.

Gaz inflammable[4] et très léger, il a une diffusivité́ élevée et sa gestion oblige à tenir compte de risques de fuites.

Il peut fragiliser certains matériaux métalliques ce qui rend son stockage particulier.

2.2   · Comparaison énergétique de différentes sources d’énergie

Il semble intéressant les caractéristiques calorifiques qui militent en faveur de l’hydrogène comme source particulièrement énergétique, en comparaison des sources habituelles.

Pouvoir calorifique Inférieur. Masse volumique (101325pa – 15°C)
Source d’énergie (MJ/kg) (MJ/m3) (kWh/m3) (kWh / kg) (kg/m3) (m3/kg)
Hydrogène 119,93 10,224 2,84 33,33 0,0852 11,73
Méthane 50,01 33,99 9,44 13,891 0,6797 1,47
Propane 46,1 87,53 24,31 12,805 1,8988 0,52
Butane 45,7 116,24 32,28 16,694 2,5436 0,39
Essence 47,3 13,138
Diesel 44,8 12,444

Ces premières caractéristiques énergétiques permettent de comprendre l’intérêt de l’hydrogène mais également les risques associés.

3.       Les différentes sources de production de l’hydrogène  [5]

3.1   Qu’est-ce que l’hydrogène ?

Comme l’électricité, l’hydrogène est principalement un vecteur énergétique et non une énergie en tant que telle, car il est produit au moyen d’une réaction chimique à partir d’une ressource primaire.

Actuellement, pour des raisons économiques, l’hydrogène est issu à 95 % de la transformation d’énergies fossiles, dont pour près de la moitié à partir du gaz naturel.

3.2   Où se trouve l’hydrogène ?

Les ressources principales permettant de produire le dihydrogène H2 (que l’on appelle hydrogène par abus de langage) sont l’eau et les hydrocarbures (le charbon, le pétrole ou le gaz).

  • En effet, chaque molécule d’eau est le fruit de la combinaison entre un atome d’oxygène et deux atomes d’hydrogène, suivant la formule H2O.
  • Les hydrocarbures sont issus de la combinaison d’atomes de carbone et d’hydrogène. C’est par exemple le cas du méthane, constituant principal du gaz naturel dont la formule est CH4, l’une des combinaisons les plus simples pour les hydrocarbures.

L’hydrogène existe aussi à l’état naturel. Les premières sources naturelles d’hydrogène ont été découvertes au fond des mers dans les années 70 et plus récemment à terre.

3.3   Comment produit-on de l’hydrogène ?

Les principales techniques de production existantes sont les suivantes

le reformage du gaz naturel à la vapeur d’eau est la technique la plus répandue. Il s’agit de faire réagir du méthane avec de l’eau pour obtenir un mélange contenant de l’hydrogène et du CO2. Le CO2 émis par ce procédé pourrait éventuellement être capté et stocké pour produire un hydrogène décarboné. En lieu et place du gaz naturel, l’utilisation du biométhane (méthane issu de la fermentation de la biomasse) constitue aussi une solution pour produire un hydrogène décarboné ;

l’hydrogène peut aussi être produit à partir d’eau et d’électricité, c’est l’électrolyse de l’eau. L’électrolyseur sépare une molécule d’eau en hydrogène et en oxygène. Cette voie est encore peu répandue car nettement plus coûteuse (2 à 3 fois plus chère que le reformage du gaz naturel) et réservée aujourd’hui à des usages spécifiques, comme l’électronique, qui requièrent un niveau élevé de pureté ;

la gazéification permet de produire, par combustion, un mélange de CO et d’H2 à partir de charbon (solution qui émet beaucoup de CO2) ou de biomasse.

4.      Les couleurs actuelles de l’hydrogène

Rare à l’état naturel une qualification de cet H2 a été adoptée en fonction l’énergie primaire utilisée pour l’obtenir et de l’empreinte carbone du procédé d’obtention.

Mais il faut également ajouter l’H2 blanc ou naturel qui est issu de l’oxydoréduction de métaux contenant du fer au niveau hydrothermal ou de la rupture des molécules d’eau provoquée par un rayonnement ionisant et libération des gaz contenus dans le manteau terrestre.

C’est également le cas de l’H2 quand une eau à forte teneur de plutonium ou d’uranium subit une radiolyse.

5.  Pourquoi l’H2

Les deux principales raisons pour lesquelles l’H2 semble intéresser notre avenir sont les suivantes.

L’hydrogène est un moyen efficace pour stocker massivement et sur de longues durées, l’électricité, issue des sources intermittentes (éolien, solaire par exemple) qui ne pourrait pas être immédiatement consommée en la transformant en H2, stockable dans des cavités salines (par exemple) ou dans des tanks pour être ultérieurement générateur d’énergie.

Ce principe est largement développé dans un concept P2G (Power to gaz) développé par exemple par GRDF[6].L’H2 peut également être utilisé avec une pile à combustible dans laquelle, couplé avec un apport d’air, il y a production d’électricité.

Cela intéresse donc tout le domaine de la mobilité légère (flottes d’utilitaires électriques) et lourde (poids lourds, trains, bateaux, avions, …) selon la taille de la pile à combustible.

Il est clair que ce domaine renforce la tendance forte à recourir à la traction électrique actuelle[7].

6.      Rendement global de la filière H2

Il ne faut cependant pas oublier que l’utilisation de l’hydrogène comme vecteur énergétique implique plusieurs étapes :

  • sa production de l’hydrogène,
  • son stockage,
  • son transport,
  • sa distribution,
  • et la reconversion de l’H2 stocké en électricité.

Ainsi le rendement global de la filière dépend certes du procédé de fabrication mais son transport jusqu’au lieu d’utilisation, au sein d’un réseau de distribution non encore défini participe aux facteurs importants dans le rendement global de cette source d’énergie.

Le rendement énergétique global, « power to H2 to power », de la source d’électricité à la roue d’un véhicule hydrogène par exemple, est de l’ordre de 25 à 30 %.

En ce qui concerne les besoins en infrastructures de transport de l’hydrogène, ils resteront limités car la demande sera initialement satisfaite par l’hydrogène produit à proximité ou sur site.

Dans certaines régions, une injection dans les réseaux de gaz naturel est possible, mais il y a lieu de commencer à planifier des infrastructures de transport pour des distances moyennes avant de penser à considérer l’H2 comme la source unique des mobilités, légères et lourdes.

7.       Les objectifs européens à 2030 et 2050

L’Union européenne (UE) a décidé de développer une puissance de 6 GW d’électrolyseurs de H2 renouvelable en 2024 pour produire 1 million de tonnes de H2 qui seront, à la demande, générer une électricité « décarbonée ».

Pour 2030 l’UE prévoit une puissance 40 GW en Europe et 40 GW au voisinage de l’Europe de manière à pouvoir assurer une production de 10 millions de tonnes de H2 renouvelable dans des conditions compétitives et fluides.

L’H2 doit ainsi représenter 13-14% du bouquet énergétique européen en 2050

La priorité pour l’UE est le développement de l’hydrogène renouvelable, produit par électrolyseurs, alimentés par énergie éolienne et solaire, cet H2 étant alors une source de stockage d’électricité bas carbone totalement renouvelable.

8.      Que dit la France

8.1  Stratégie

En 2020 le Ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance et la Ministre de la Transition écologique, ont présenté la stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène décarboné[8], cela constituant un axe prioritaire d’investissement pour la France, compte tenu :

  • des enjeux environnementaux : l’H2 est pourvoyeur de nombreuses solutions pour décarboner l’industrie et les transports ;
  • des enjeux économiques : l’H2 offre l’opportunité de créer une filière et un écosystème industriels créateurs d’emplois ;
  • des enjeux de souveraineté énergétique : pour réduire notre dépendance vis-à-vis des importations d’hydrocarbures ;
  • des enjeux d’indépendance technologique : pour valoriser les atouts dont dispose la France dans la compétition mondiale.

Comme on peut le voir il s’agit d’objectifs louables mais les sujets du transport, du stockage et de la distribution de l’H2 n’y sont pas évoqués et le rendement de la chaine globale, comme indiqué dans le paragraphe 8 précédent est particulièrement impacté par ces sujets.

8.2  Objectifs 2030

Il semble que les objectifs de la France pour 2030 soient de déployer 6,5 GW d’électrolyseurs avec un objectif de production de 600 kilotonnes d’H2

9.      La mobilité, principal champ de développement de l’usage de l’H2

Contributeur majeur à l’effet de serre, la mobilité est, sans conteste, après l’industrie lourde, le principal champ d’expérimentation des nouveaux usages de l’H2 qui y est cependant en concurrence avec d’autres sources d’énergies décarbonées dont les batteries[9].

10. Conclusion

La France était précurseur en matière de l’utilisation de l’H2 comme énergie de certaines mobilités (Air Liquide[10], Alstom[11] par exemple). Pourquoi avoir attendu si longtemps avant de s’en faire un axe prioritaire ?

Mais le chemin est long avant de pouvoir disposer de l’H2 au coin de la rue pour recharger nos véhicules équipés de piles à combustible et avant que tous nos transports routiers et ferrés soient également mus de pareille manière.

Dans cet engouement ne sommes-nous pas en train de considérer que notre consommation énergétique redevient sans limite car la filière H2 envisagée par l’Europe est dépendante de sa production à base d’électricité et ce d’autant plus que le caractère intermittent de l’éolien voit, dans l’H2, son défaut disparaitre.

Lavictoire

10 avril 2023

[1] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52020DC0102&from=EN

[2] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52020DC0301&from=EN

[3] https://s3.production.france-hydrogene.org/uploads/sites/4/2018/02/1.2.pdf

[4] Sa « plage d’inflammabilité » ou « d’explosivité » dans l’air est beaucoup plus étendue que celle du méthane et d’autres gaz.

[5] https://s3.production.france-hydrogene.org/uploads/sites/4/2018/02/1.2.pdf

[6] https://librairie.ademe.fr/cadic/7514/resume_etude_powertogas_ademe-grdf-grtgaz.pdf

https://librairie.ademe.fr/cadic/7514/etude_powertogas_ademe-grdf-grtgaz.pdf

[7] https://www.pragma-industries.com/fr/

[8] https://minefi.hosting.augure.com/Augure_Minefi/r/ContenuEnLigne/Download?id=5C30E7B2-2092-4339-8B92-FE24984E8E42&filename=DP%20-%20Strat%C3%A9gie%20nationale%20pour%20le%20d%C3%A9veloppement%20de%20l%27hydrog%C3%A8ne%20d%C3%A9carbon%C3%A9%20en%20France.pdf

[9] https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/cge/securite-hydrogene.pdf?v=1674552377 page 30

[10] https://www.airliquide.com/fr/groupe/activites/hydrogene

[11] https://www.alstom.com/press-releases-news/2022/10/growing-portfolio-hydrogen-traction-regional-trains

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