…et qu’en sera-t-il pour l’Europe dans le cadre des accords transatlantiques (TAFTA-TTIP) que nous dénonçons dans le cadre du Collectif STOP-TAFTA, voir articles précédents) , accords qui prévoient l’arbitrage international plutôt que le droit des Etats concernés, leur souveraineté et leur pouvoir décisionnel au regard de l’intérêt général de leur population, notamment en matière environnementale?
Une fois de plus, la société civile doit monter au créneau pour résister à cet ordre mondial du profit ultra libéral, voyez plutôt…
Arbitrage international
Le Salvador devra-t-il verser 301 millions de dollars pour avoir préféré une eau propre à l’or ?
20 avril 2015 par Gabriel Labrador
Une firme minière australo-canadienne poursuit le gouvernement du Salvador devant un tribunal arbitral privé parce que celui-ci lui a refusé une licence minière, en raison des menaces qu’elle représenterait pour les ressources en eau du pays. Un nouvel exemple des problèmes associés aux traités d’investissement et à leurs mécanismes de protection des investisseurs.
Cet article a été publié initialement le 9 avril 2015 par Equal Times.
Traduit de l’espagnol.
Le gouvernement du Salvador, en Amérique centrale, pourrait être contraint de payer 301 millions de dollars US de dommages et intérêts à une société minière australo-canadienne, OceanaGold, pour avoir rejeté sa demande de permis d’exploitation minière en raison de la dégradation environnementale que ce projet aurait causé.
Le Salvador a déjà les plus sérieux problèmes d’approvisionnement d’eau de toute la région. En conséquence, le gouvernement a interrompu l’octroi de licences d’exploitation minière en 2008, dans le cadre d’une tentative pour préserver les sources limitées d’eau potable du pays, et plus généralement pour sauvegarder l’environnement.
Mais la multinationale minière australienne OceanaGold et sa filiale, la canadienne Pacific Rim Mining, ont renvoyé l’affaire devant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), un tribunal arbitral commercial abrité par la Banque mondiale, basé à Washington.
La décision du CIRDI est attendue dans les semaines ou mois à venir.
Moratoire
Le gouvernement salvadorien, ainsi que des dizaines d’organisations nationales et internationales, ont exprimé leur préoccupation face à la probabilité d’une sentence défavorable. « Il faut absolument obtenir gain de cause dans cette affaire car des millions de dollars sont en jeu pour le Salvador », a déclaré lors d’un entretien avec
Equal Times la ministre de l’Environnement du Salvador, Lina Pohl.
Selon la ministre, un verdict défavorable à l’issue de cette procédure risquerait de modifier la position officielle du gouvernement sur l’industrie minière métallurgique. « En 2011, nous avons commissionné un audit environnemental, lequel a démontré que les conditions que connaît actuellement notre pays ne sont pas compatibles avec le développement continu de l’industrie minière », explique-t-elle.
En 2011, un Audit environnemental stratégique concluait en effet que l’activité minière n’est pas possible au Salvador, pour quatre motifs : parce que 95% des cours d’eau sont pollués ; parce que la faible quantité d’or exploitable dans le pays n’attirerait que des «entreprises secondaires » moins soucieuses de la protection de
l’environnement ; parce que la bureaucratie en place ne suffirait pas à superviser étroitement les projets miniers ; et en raison des fortes rivalités entre communautés dans les zones concernées.
États contre investisseurs
Devant le CIRDI, toutefois, la société OceanaGold accuse l’État salvadorien de l’avoir privé de ses droits d’exploitation aurifère dans le cadre du projet El Dorado, dans le département de Cabañas, situé dans la région centrale du pays. « La suspension du permis d’exploitation est due à des motifs politiques et non techniques », affirme l’entreprise.
Le gouvernement salvadorien répond qu’OceanaGold n’a jamais obtenu de concession pour l’exploitation de l’or, attendu qu’elle n’a jamais soumis de demande de licence environnementale pour la zone de la concession, qu’elle n’a pas effectué d’étude de faisabilité et qu’elle n’était pas propriétaire des terrains concernés par le projet.
En 2008, le gouvernement a imposé un moratoire sur diverses concessions minières, dont celle au coeur de la plainte au CIRDI, invoquant l’absence de garanties environnementales. La société Pacific Rim – l’actuelle OceanaGold Corp. – a profité de ce gel sur l’octroi de licences minières pour poursuivre en justice le Salvador en 2009, invoquant le fait que ce moratoire n’était fondé sur aucune loi qui interdise l’activité minière. Cette loi est en effet toujours en train d’être débattue au Congrès salvadorien.
« Si le Salvador devait perdre son procès au CIRDI, cela établirait un précédent d’autant plus préjudiciable que d’autres multinationales – pas seulement minières – pourraient tirer parti du vide juridique créé en 2008 aux fins d’intenter des actions similaires contre l’État salvadorien, pour des sommes se chiffrant à des millions de dollars », affirme Pedro Cabezas, représentant de SalvAide, des Alliés
internationaux contre les exploitations minières au Salvador, et ex-membre de la Mesa Nacional Frente a la Minería Metálica (MFNMM), qui regroupe 10 organisations écologistes.
« L’affaire menace la souveraineté du Salvador et sa capacité d’autodétermination en fonction de l’intérêt public. L’enjeu est de savoir si, à cause de traités de libre-échange, le gouvernement sera désormais tenu de veiller exclusivement aux intérêts des entreprises », affirme Cabezas.
Inégalités croissantes
L’industrie minière au Salvador est un secteur multimilliardaire, dans un pays tenaillé par des inégalités abyssales et qui éprouve d’énormes difficultés à financer ses propres politiques publiques.
Rien que dans trois départements du pays, les projets miniers représentent un chiffre d’affaires estimé à 7,2 milliards USD, soit un tiers du PIB national.
« Le gouvernement ne dit pas non à l’industrie minière, seulement que dans les conditions actuelles de ce pays, en ce moment-même, cette industrie n’y a pas sa place », indique la ministre de l’Environnement, Lina Pohl.
Le gouvernement tente en vain, depuis 2011, de faire adopter par le Congrès une loi sur l’activité minière en vertu de laquelle un panel composé d’experts internationaux et de fonctionnaires publics nationaux aurait pour mission de donner son feu vert aux projets miniers, à condition que ceux-ci aient remédié aux déficiences relevées dans l’audit environnemental. Cette proposition de loi, comme
d’autres projets de lois similaires, reste en suspens au Congrès.
« Le fait est qu’ OceanaGold sait très bien qu’il n’y a pas de place ici pour de nouveaux projets miniers, mais ce qu’ils veulent, c’est faire pression. C’est pourquoi leurs poursuites relèvent d’un acte d’extorsion contre notre pays », déclare Pedro Cabezas, de SalvAide.
Equal Times a envoyé plusieurs courriers électroniques aux représentants juridiques d’OceanaGold mais n’avait toujours pas obtenu de réponse au moment de publier cet article.
Collectivités contre industrie minière
Au Salvador, plusieurs collectivités ont décidé d’anticiper l’issue des débats au Congrès et ont souhaité officialiser leur opposition au développement de l’industrie minière. Début mars, la municipalité de Nueva Trinidad, à Chalatenango, est devenue la troisième du pays à adopter une loi locale contre l’industrie minière.
« Il est primordial que les communautés s’organisent car le prix de l’or et de l’argent ne peuvent être comparés à la santé et à un environnement sain. Malheureusement, au milieu de toute cette controverse, la voix des communautés n’est pas prise en compte », ont déclaré à Equal Times Magdalena Mármol et Francisco Quijano,
porte-parole de la Central Autónoma de Trabajadores Salvadoreños
(CATS).
Le litige contre OceanaGold a gagné en importance en partie grâce au soutien d’organisations de la société civile américaines et canadiennes et aux pressions que celles-ci ont exercé sur leurs gouvernements.
En juin 2014, par exemple, trois organisations de la société civile, le Centre Europe – Tiers monde (CETIM), l’Institute d’for Policy Studies et le Center for International Environmental Law (CIEL) ont déposé une plainte conjointe au Conseil des droits de l’homme des Nations unies, qui pourrait donner lieu à une réaction des États.
Gabriel Labrador