Mais où est donc passée « la sobriété »?

Voici enfin les annonces du président Macron sur la planification écologique, une « écologie à la française » tout en aimant « la bagnole », prend-il soin de préciser afin de la rendre supportable: mais pour qui?

-Ainsi, le routier sera taxé (tout le monde), mais pas l’avion (quelques-uns)…

-Les promesses n’engageant que ceux qui y croient, voilà rejoué le scénario de 2017: la sortie du charbon, pour 2022…Non, pour 2027 cette fois. Un champion du recyclage…des vieilles promesses.

-Soyons généreux, il promet aussi de  « réduire de 30% la dépendance de l’agriculture au glyphosate d’ici 2027 »: promesse était faite de l’interdiction totale de ce pesticide avant 2020…tandis que la France soutient la proposition à l’U.E de repousser de 10 ans l’interdiction du glyphosate en Europe. 🤡

-On y voit de moins en moins clair pour l’Energie: « reprendre le contrôle du prix de l’électricité ». Pour cela, il faut sortir du marché européen de l’énergie: chiche, les paris sont ouverts, braverait-il les oukazes? La Loi de programmation « énergie-climat » qui devait être discutée à l’Assemblée cette année joue les fantômes dans les annonces: quelqu’un sait où et quand les parlementaires pourront en débattre et décider?

-Dans le domaine de l’illusionnisme, nous excellons: selon le très sérieux rapport Pisani-Mahfouz,  34 milliards sont nécessaires pour réussir la bifurcation écologique, nous n’en aurons que 7 de plus que l’an dernier, une annonce en somme qui éblouit, l’autre chiffre n’ayant pas été communiqué…Et la sobriété, alors, clef de réussite d’un bon plan réaliste? Passons la parole à Maxime Combes: mais « Où est donc passée la sobriété », dans les annonces gouvernementales, interroge l’auteur d’une tribune (relayée sur le réseau d’ATTAC)

(lire aussi de cet auteur: Emmanuel Macron, ou l’écologie de la promesse et du grand renoncement | Le Club (mediapart.fr))

Tribune également publiée sur https://www.liberation.fr/idees-et-debats/une-planification-trop-sobrement-ecologique-20230926_IJQ66U6I3FDD3K7R4LQRN47WFU/?redirected=1

TRIBUNE – Macron, une planification trop sobrement écologique

« Avec sa déclaration d’amour à «la bagnole» Emmanuel Macron nous fait miroiter un avenir où chacun pourrait continuer à satisfaire les mêmes besoins qu’aujourd’hui. Or, une véritable politique de la sobriété devrait conduire à éliminer le superflu dans le cadre des limites planétaires, rappelle Maxime Combes, économiste.

Où est donc passée «la sobriété» ? Convoquée avec gravité par Emmanuel Macron le 14 juillet 2022 en réponse à la guerre menée par la Russie en Ukraine, la sobriété énergétique a depuis été l’objet d’un plan de «mobilisation générale» à l’automne 2022 pour «passer l’hiver» et réduire notre dépendance collective aux importations d’énergies fossiles : hors effet météo, les ménages, les entreprises et les collectivités auraient baissé leur consommation de gaz et d’électricité de plus de 12 % entre août 2022 et juin 2023.

Prévu pour deux ans, ce plan est aujourd’hui en mode mineur, et la sobriété ne structure pas ce qu’Emmanuel Macron vient de présenter de sa «planification écologique». Le terme lui-même a presque totalement disparu des discours : alors que la sobriété avait été annoncée comme devant s’imposer à l’ensemble des politiques publiques, Emmanuel Macron n’évoque plus qu’une «sobriété mesurée», comme s’il fallait édulcorer sa force subversive et faire oublier les engagements pris. Place désormais à une «écologie à la française», nouvelle formule vide de sens derrière laquelle priorité est donnée à la compétitivité-prix d’une industrie relocalisée et à l’innovation techno-industrielle.

C’est une écologie productiviste avec priorité donnée aux solutions technologiques
Si le plan sobriété de l’automne 2022 comportait de nombreuses limites – pas ou peu de mesures contraignantes envers les entreprises et les populations les plus aisées et insuffisamment de soutien aux populations précaires – il avait le double mérite de reconnaître qu’il y avait des limites planétaires à l’activité économique et d’introduire dans les politiques publiques françaises un principe de limitation de la consommation de ressources naturelles.

C’est d’ailleurs ainsi que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) définit les politiques de sobriété (sufficiency policies) en affirmant qu’elles «recouvrent les mesures et les pratiques du quotidien qui permettent d’éviter la demande en énergie, en matériaux, en terres, en eau, tout en assurant le bien-être de toutes et tous, dans le cadre des limites planétaires». «Des économies choisies plutôt que des coupures subies», affirmait le gouvernement il y a encore quelques mois pour justifier le plan de sobriété et une baisse de la consommation d’énergie de 10 % d’ici à 2024, et de 40 % d’ici à 2050.

Si ces objectifs chiffrés n’ont pas été abandonnés, ils ne semblent pas charpenter les axes de la planification écologique présentés par Emmanuel Macron. Plutôt que fonder son récit sur une sobriété désirable, il préfère celui d’une écologie productiviste, se limitant à un verdissement de la politique de l’offre qu’il mène depuis 2017 : priorité est donnée aux solutions technologiques (voiture électrique, pompes à chaleur, hydrogène, etc.), si possible relocalisée sur le territoire national, et aux aides publiques aux entreprises privées pour les inviter à se décarboner sans conditionnalités strictes.

Sa déclaration d’amour à «la bagnole» en est l’illustration la plus aboutie : plutôt que donner à voir ce que pourrait être un futur où nos besoins de mobilité auraient diminué et seraient essentiellement couverts par des modes de transports collectifs et/ou doux, Emmanuel Macron nous fait miroiter un avenir où chacun aurait «sa bagnole» électrique, si possible française, pour satisfaire les mêmes besoins qu’aujourd’hui. Qu’importe que les spécialistes des transports expliquent que cela est ni possible ni souhaitable.

Allons-nous laisser le PDG de TotalEnergies décider de notre avenir énergétique ?
Inciter plutôt que contraindre, parier sur l’innovation et les ruptures technologiques plutôt qu’interroger nos besoins, faire confiance au secteur privé plutôt que décider de la fermeture de certaines infrastructures insoutenables, voilà ce qu’Emmanuel Macron appelle «planification écologique». Dès lors, l’élimination des consommations superflues, la réduction des besoins de mobilités et de chauffage, la mise à disposition de biens soutenables, réparables et sans obsolescence programmée, ou encore la mutualisation des équipements, qui sont au cœur d’une politique de sobriété, disparaissent des radars.

Transformer les secteurs économiques les plus néfastes pour le climat, la biodiversité et l’eau, tels que l’agriculture, la pétrochimie, l’automobile, l’aéronautique ou même le tourisme de masse, nécessitera pourtant plus qu’un Etat transformé en guichet à subventions et à exonérations d’impôts. Allons-nous laisser le PDG de TotalEnergies continuer à décider de notre avenir énergétique ou bien nous donnons-nous les moyens légaux afin de démanteler le pouvoir de nuisance de ces multinationales climaticides et organiser leur reconversion écologique ?

Allons-nous attendre que les 0,1 % les plus riches aient compris que leurs surconsommations sont néfastes, ou bien nous donnons-nous les moyens de réduire les inégalités – condition sine qua non d’une sobriété collective choisie et désirée – et de financer des mesures de sobriété pour les plus pauvres que sont des services publics efficaces au plus près des besoins ? Malheureusement, la sobriété, en tant que politique devant conduire à éliminer le superflu et satisfaire les besoins essentiels dans le cadre des limites planétaires, est pour l’heure portée disparue de la planification écologique version Emmanuel Macron. »

MAXIME COMBES

Economiste, travaillant sur les politiques climatiques, commerciales et d’investissement

Ailleurs que Paris ! – France – SA BIOGRAPHIE Maxime Combes | Le Club de Mediapart

Economiste de formation, je suis engagé depuis la fin des années 1990 dans le mouvement altermondialiste, à travers Attac France notamment. Outre ce blog, je contribue au site d’Informations Basta ! (bastamag.net). J’ai publié en 2015 : Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition, Seuil,1 

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