Google, une pieuvre qui s’attaque à tous les secteurs de notre vie

Le géant technologique a des projets concernant les services sociaux de base qui, dans de nombreux pays, sont de la compétence de l’Etat.

Un article de:  http://amisdelaterre40.fr/spip/spip.php?article850

Ricardo, 49 ans, vit et travaille à Londres où il est directeur commercial d’une entreprise de technologie. Il utilise donc régulièrement un smartphone, se sert souvent de Google Maps et du courrier électronique parmi d’autres applications. Tout cela il le fait dans le cadre du système d’exploitation Android, appartenant lui-même à Google. Ce qu’il n’imaginait pas, c’est que les données le concernant dans le Système national de santé britannique (NHS) pourraient finir entre les mains de la société basée dans la Silicon Valley, comme c’est déjà la cas pour les données de son portable. Pourtant, ce fut le cas durant une courte période. « Je me souviens de la controverse, mais la couverture médiatique n’a pas té très importante ici en Espagne », précise-t-il à La Vanguardia… LIRE

Voici un cas exemplaire de tout ce à quoi touche ce géant technologique de façon discrète derrière son populaire moteur de recherche ; un exemple de ses tentacules qui influencent déjà toutes les facettes de notre vie de tous les jours et qui cherchent même à prendre le contrôle de domaines de base de l’action de l’État comme la santé, l’éducation, le logement, la sécurité ou les transports en commun.

La découvert que l’une des filiales d’Alphabet, la société mère de Google, avait un accord avec le système de santé du pays pour gérer grâce à l’intelligence artificielle des données médicales, fit la une des journaux au Royaume-Uni. L’objectif affiché était d’améliorer la qualité des services, mais le contrat mettait entre les mains de DeepMind les dossiers médicaux de plus d’un million de personnes, sans leur consentement explicite. Les doutes sur la confidentialité des données des patients et l’inquiétude quant à leur utilisation à d’autres fins (publicitaires par exemple) l’ont fait capoter. Une controverse similaire concernant des millions de personnes a aussi eu lieu aux États-Unis où Google a passé un accord avec Ascension, une compagnie d’assurance catholique états-unienne, pour accéder à des millions de dossiers médicaux dans le pays.

Ces deux scandales mettent en évidence une évolution qui va bien au-delà du grand succès public de Google, que ce soit avec son système d’exploitation Android ou son moteur de recherche sur Internet. Car, comme le disent les experts, derrière la pointe de l’iceberg, la société de Mountain View dissimule une sorte de nouveau Léviathan, notamment en Occident. Comme l’explique Andoni Alonso, professeur à l’Université Complutense de Madrid spécialisé en philosophie de la technologie – on la retrouve en général dans des secteurs coûteux et peu rentables à court terme, bien que ce soit des domaines « qui sont, à long terme, très rentables, car ils façonnent notre vie quotidienne et parce qu’ils sont inélastiques, comme diraient les économistes ».

Comme évoqué précédemment, la santé figure parmi les nouveaux centres d’intérêt de Google, soit pour appliquer l’intelligence artificielle dans sa gestion par l’intermédiaire de DeepMind (l’entreprise derrière le scandale du Service de santé britannique, mais qui se consacre aussi à de nombreux autres secteurs), soit pour créer dans les laboratoires secrets de X, des lentilles de contact qui surveillent les patients diabétiques et leur taux de glucose ; ou surtout, à travers Calico, société créée en 2013, pour tenter de guérir de la mort. L’entreprise consacre des sommes importantes dans l’objectif de développer des traitements contre les maladies liées au vieillissement, que ce soit le cancer, la maladie d’Alzheimer , etc. En partie à cause de l’intérêt personnel de Sergei Brin, co-fondateur de Google et qui a des antécédents familiaux.

Calico est toujours bien en place sept ans après sa fondation, même si ses publications n’abondent guère et que ses travaux se poursuivent dans le secret qui enveloppe toute la firme. Ses recherches, bien sûr, vont de pair avec l’expérience scientifique de sa vice-présidente, Cynthia Kenyon, une professeure médiatique qui, au début des années 1990, découvrit comment certaines mutations du gène daf-2 doublaient la durée de vie d’un petit ver. Comme le précise José Luis Martínez, professeur à l’Université nationale d’enseignement à distance (UNED) spécialisé en biotechnologie, « Je n’ai pas connaissance des travaux de cette entreprise, mais dans le domaine des biotechnologies, il n’est pas facile de développer de nouvelles stratégies et ce sont en général des travaux à long terme. Calico semble être impliqué dans des études sur le vieillissement, et celles-ci sont complexes car il est difficile de savoir s’il s’agit d’une cause ou d’une conséquence et en plus elles nécessitent beaucoup de temps. Sept ans, ce n’est pas si long, surtout si l’objectif est thérapeutique ».

Google se lance également dans le logement avec SidewalkLabs, fondé en 2015 et orienté vers l’innovation urbaine grâce – bien entendu – à la technologie, que ce soit pour la construction, les infrastructures ou l’aménagement urbain. Jusqu’à présent, Google a principalement développé des plans pilotes mais a, en outre, participé en collaboration avec les autorités locales à l’aménagement et au développement d’un vaste projet de reconversion des quais de Toronto au Canada. Ce projet est actuellement paralysé par l’incertitude provoquée par la crise du Covid-19. L’entreprise poursuit néanmoins son travail. Car, comme le note son directeur, Daniel L. Doctoroff, sont sorties de cette filiale de Google « des entreprises innovantes qui traitent de la construction avec du bois, des outils d’urbanisme numérique, et nous continuons avec l’objectif de faire des quartiers un environnement totalement électrique » . La smart city ou ville intelligente est son emblème depuis le début.

L’éducation est un des piliers qui soutiennent le contrat social. C’est aussi un des secteurs dans lesquels Google s’est lancé. Comme l’annonçait le vice-président de Google, Kent Walker, en juillet dernier, l’entreprise commencera à organiser des cours spécifiques et intensifs, d’à peine quelques mois, qui seront comparables aux diplômes universitaires de quatre ans, mais qui au total coûteront 1000 euros de moins. Il se feront en partenariat avec Coursera, seront intégralement en ligne – comme de nombreux diplômes le sont déjà à cause de la Covid-19 dans l’université en présentiel. Il ne sera pas nécessaire d’avoir un diplôme préalable et ils se dérouleront principalement en anglais (bien que pour certains diplômes déjà en cours, il y ait la possibilité de les suivre dans d’autres langues, comme l’espagnol ou le portugais).

Google espère que les autres entreprises accepteront et valoriseront ses certificats comme elles le font avec les diplômes des universités traditionnelles – ce qui marquerait un avant et un après dans ce secteur – parce que, comme insiste Google, son modèle est semblable au domaine de la technique et de la spécialité professionnelle (que ce soit dans le support technique, l’analyse de données, la gestion de projet ou l’expérience utilisateur). Ses intentions futures se résument cependant à son propre nom : de pair avec Grow with Google (Grandit avec Google) sera géré ce qu’on appelle ailleurs laGoogle University.

Et comme si cela ne suffisait pas, Google étend l’éventail de ses intérêts dans le domaine de la sécurité avec Chronicle Security , sa filiale axée sur l’analyse et l’apprentissage des données de sécurité pour prévenir les menaces, qui a des accords avec toutes sortes entreprises allant de l’industrie avec Quanta, jusqu’à la culture et aux loisirs avec Aspen Skiing en passant par des entreprises en Espagne comme ElevenPaths de Telefónica. Google s’intéresse aussi au thin tank classique, avec Jigsaw, qui depuis 2016 utilise une technologie de pointe pour suivre les tensions géopolitiques dans des domaines comme la censure, l’extrémisme, le harcèlement … Sans oublier Waymo, le projet de voiture autonome de Google qui a signé des accords pour compléter les transports publics avec un service de navettes vers les gares routières et ferroviaires des grandes villes comme Phoenix. Bien entendu, les projets pilotes arrivent des dizaines de villes du pays.

Javier Echeverría, professeur CSIC et chercheur Ikerbasque à l’Université du Pays basque spécialisé en sociologie, technologie et innovation résume la situation ainsi : « Google a été fondée en 1998 et a créé en 20 ans un véritable techno-fief numérique, mais pas seulement sur Internet. Google est fortement impliquée dans des sociétés militaires aux États-Unis, ainsi que dans des sociétés financières . En fait, il y a deux ans, l’entreprise a demandé une licence pour opérer en tant qu’entité financière mondiale ». En effet poursuit-il, « la puissance de Google dépasse – et de loin ! – celui de toute entreprise et de tout État européen ».

Depuis 2015, toutes ces activités sont englobées dans Alphabet, une structure d’entreprise au-dessus de Google qui accumule les acronymes de dizaines de firmes qui font de cette multinationale une pieuvre de plus en plus puissante. L’examen de toutes ces firmes, divisées en unités propres à Google et celles qui sont classées comme autres enjeux du groupe, révèle qu’elles n’ont que peu ou rien à voir avec le populaire moteur de recherche ni même avec Internet. Leur ambition est « de changer le monde et pour cela appliquer l’innovation à tout ce leur passe par la tête. Ils mettent la technologie entre les mains des gens de la manière la plus simple. Et face aux défis, ils proposent des solutions radicales. Ils ne sont pas faits pour gagner de l’argent », comme l’explique Enrique Dans, professeur d’Innovation et de technologie à l’IE Business School, à LaVanguardia. Malgré tout comme le rappellent les experts, Google est l’une des deux entreprises au monde avec la capitalisation boursière la plus élevée et ses budgets annuels, par exemple pour la recherche et développement (R&D), sont supérieurs à ceux d’États comme la France, et cela depuis des années.

C’est ainsi que nous vivons entourés de technologie et que nous dépendons dans une grande mesure d’elle. Mais de toutes les grandes entreprises technologiques, c’est Google qui remporte la palme : Google rassemble acronymes sur acronymes qui représentent le nom de firmes, ce qui fait que Google ressemble de plus en plus à un État où nous passons, où nous vivons tous et dont nous dépendons tous – bien que, souvent, nous ne le sachions pas. Comme un nouveau Léviathan qui aurait commencé comme un simple moteur de recherche numérique, mais qui s’en serait échappé. Et Echeverria de conclure : « D’ailleurs, cela augure mal de la démocratie dans le futur. Google a un pouvoir politique considérable, mais son pouvoir économique et social est beaucoup plus grand, en particulier sur les jeunes. Et ce pouvoir s’accroît, contrairement à celui des États qui diminue. Or il s’avère que presque aucun des techno-fiefs informels n’est une organisation démocratique… « .

Article de Alexis Rodriguz-Rata publié dans LaVanguardia, le 29 octobre 2020 sous le titre
Google asalta la enseñanza universitaria, el urbanismo y la salud

Traduction Amis de la Terre Landes

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