Nous connaissons la grosse bête toujours plus affamée qu’est l’usine TMB des déchets en mélange CANOPIA à Bayonne…mais lorsque le tri est incitatif pour valoriser, par exemple la filière bois, d’autres inconvénients surgissent : là aussi, il faut nourrir la bête : à quel prix ?
LIRE : Du charbon à la biomasse, la conversion contestée de la centrale de Gardanne
LE MONDE | 08.03.2016 à 11h44 • Mis à jour le 08.03.2016 à 16h32 | Par Luc Leroux (Marseille, correspondant)
Sur les terrains attenants à la centrale thermique de Gardanne (Bouches-du-Rhône), d’importants volumes de bois sont prêts à être broyés. Dans cette ancienne cité minière où le charbon a été le quotidien des habitants jusqu’à la fermeture définitive du puits en 2003, ces stocks symbolisent la transition énergétique. Dès cet été, ils alimenteront l’unité 4 de la centrale de Provence dont la conversion – du charbon à la biomasse – a nécessité deux ans de travaux et un investissement de 256 millions d’euros. Son propriétaire, le groupe énergétique allemand E.On, puis sa filiale Uniper depuis le 1er janvier, en ont fait la plus grande centrale à biomasse de France. Ce, conformément à l’appel d’offres lancé en 2011 par l’Etat afin d’atteindre son objectif de 23 % d’énergies renouvelables d’ici à 2020. Le rachat de sa production électrique assure à l’industriel 70 millions d’euros chaque année durant vingt ans.
Lire aussi : Boues rouges de Gardanne : quand l’Etat accorde des permis de polluer
Pour fournir une puissance électrique de 150 mégawatts – la consommation annuelle de 440 000 ménages, hors chauffage –, la centrale brûlera 855 000 tonnes de bois chaque année. L’objectif de ne consommer que du bois local en 2026 peut être atteint car la ressource existe, selon l’Etat, qui encourage la structuration de la filière bois-forêt. Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) est, en effet, la troisième région forestière avec 1,5 million d’hectares de forêt, soit 9 % de la surface boisée du pays, mais la récolte y est faible – un quart seulement de son accroissement naturel annuel, à peine 2 % de la production nationale.
« Ce n’est pas tenable pour une gestion raisonnée de la forêt. » Christophe Castaner, député PS
Au démarrage, 55 % de la ressource seront importés. Mi-janvier, 40 000 tonnes de plaquettes d’eucalyptus et d’acacia en provenance du Brésil ont été débarquées à Fos-sur-Mer. Les résidus d’élagage et d’entretien, et les bois en fin de vie collectés en déchetterie composeront la moitié de la ressource locale, et le bois forestier l’autre moitié. Cependant, pour calmer les craintes exprimées dans les zones forestières de PACA, le préfet de région a revu en 2015 le plan d’approvisionnement de l’industriel, réduisant la part régionale de la ressource forestière de 160 000 à 83 000 tonnes.
C’est en effet loin de Gardanne que la contestation à ce projet de bioénergie tonne le plus fort. « De tels volumes, ce n’est pas tenable pour une gestion raisonnée de la forêt, estime Christophe Castaner, député et maire (PS) de Forcalquier (Alpes-de-Haute-Provence). Je suis pour la biomasse, pas pour de tels monstres qu’il va falloir alimenter la gueule ouverte. » Dans le parc naturel régional du Luberon (Alpes-de-Haute-Provence et Vaucluse), on redoute la déforestation des paysages et « les dégâts d’une exploitation de la forêt de type minier », selon son président Jean-Louis Joseph, qui craint aussi « que des habitants s’opposent aux coupes de bois, en bloquant les routes, par exemple ».
« L’ONF ne travaillerait pas avec nous si on saccageait le Luberon. » Luc Poyer, président d’Uniper
Les parcs régionaux du Luberon et du Verdon et deux communautés de communes des Alpes-de-Haute-Provence ont déposé, en mars 2015, un recours devant le tribunal administratif de Marseille contre l’autorisation d’exploitation de la centrale à biomasse. Pour ces collectivités, l’enquête publique conduite à l’été 2012 n’aurait pas dû se limiter aux communes de Gardanne et de sa voisine Meyreuil, mais concerner aussi celles du bassin d’approvisionnement.
L’industriel a pourtant tout fait pour convaincre les professionnels de la filière bois, en finançant une trentaine d’initiatives liées à la forêt. « L’Office national des forêts et les sociétés forestières de la Caisse des dépôts et consignations ne travailleraient pas avec nous si on saccageait le Luberon et la Haute-Provence », argumente Luc Poyer, le président d’Uniper. Les contrats déjà signés avec une trentaine d’exploitants garantissent la traçabilité du bois et l’exploitation durable de la forêt. Le préfet a promis d’augmenter le nombre des agents assermentés pour vérifier la légalité des coupes.
Hier hostiles à E.On, les propriétaires forestiers « se réjouissent » désormais de ce nouveau débouché. Selon Gérard Gauthier, le président du syndicat des propriétaires forestiers sylviculteurs des Bouches-du-Rhône, « après soixante-dix ans d’une simple cueillette, les propriétaires ont l’opportunité de faire à nouveau et à peu de frais de la sylviculture et des travaux d’entretien et d’exploitation de leur forêt ». Il redoute néanmoins « une déforestation des zones les plus faciles d’accès ».
Les grand-messes du comité régional biomasse qui réunit, à l’initiative du préfet, tous les acteurs de la filière, les industriels et leurs opposants, n’ont pas désamorcé toutes les critiques. Et notamment celle sur l’efficacité énergétique de la centrale, qui ne valorise pas la chaleur produite. Après avoir porté le rendement de 34 % à 40 % grâce à des améliorations techniques, Luc Poyer estime « avoir déjà fait de gros efforts ». « On ne nous en fait pas crédit, déplore-t-il, ajoutant que personne ne se soucie du rendement de 30 % des centrales nucléaires. »
Quelques associations de défense de l’environnement de Gardanne ferraillent, elles, sur le sujet de la pollution de l’air par le rejet de particules fines et les poussières de bois. Elles dénoncent aussi un ballet quotidien de 250 camions, même si Uniper promet l’usage de carburants moins polluants. Mais les 170 emplois de la centrale et la promesse de créations de postes dans la filière bois – sept pour 10 000 tonnes, assure M. Poyer – pèsent lourd. Entre volonté de lutter contre le chômage et ambition de transformer Gardanne en une commune à énergie positive, Roger Meï, maire (PCF) depuis 1977, aime voir les cheminées fumer car « ça veut dire qu’il y a du travail ».
- Luc Leroux (Marseille, correspondant)
Journaliste au Monde
Origine http://www.lemonde.fr/energies/article/2016/03/08/conversion-contestee-de-la-centrale-de-gardanne_4878500_1653054.html#Mq6je7K1y7gZArOQ.9
image : La centrale électrique de Gardanne – Boris Horvat/AFP