Il y a déjà quelques années nos amis italiens nous avaient informés sur le projet de liaison Lyon Turin qui, du côté italien, avait toutes les caractéristiques de ces projets non seulement inutiles mais dont les hypothèses de base et justifications officielles (gain de temps théorique, prévisions de trafic optimistes, report modal favorisant le bilan carbone, bilan socio-économique avantageux,…) étaient totalement manipulées au point qu’à aucun moment une discussion objective n’avait pu avoir lieu sur ces hypothèses de base et justifications officielles.
La similitude avec les projets français de LGV du grand sud ouest était tellement patente qu’une Charte d’Hendaye a été établie afin de rapprocher les citoyens européens, victimes fortement potentielles de ces projets.
Ainsi la Charte d’Hendaye se voyait signée non seulement par les victimes potentielles des deux projets ci-dessus mais également par ceux d’autres projets de LGV dans le sud tout comme en Allemagne et en Espagne. La charte d’Hendaye s’étoffe d’ailleurs depuis, de nombreux autres signataires victimes potentielles de projets inutiles
La focalisation récente sur le nouvel aéroport à Notre Dame des Landes, projet aussi inutile que les précédents, nous montre que les procédés déjà rencontrés sur les autres projets inutiles sont les mêmes.
On constate pour tous ces projets des hypothèses de base fausses et les justifications légales requises contournées.
Or si nous essayons de trouver une certaine communauté d’acteurs à tous ces projets inutiles nous trouvons comme par un hasard le segment économique des grandes entreprises de travaux publics qui trouve dans ces nouvelles infrastructures de transport inutiles un champ de développement à fort potentiel d’application.
Quoi de plus similaire à la construction d’une autoroute que celle d’un aéroport ou de l’infrastructure de base d’une nouvelle ligne ferroviaire. Quand de plus on confie au constructeur la gestion de l’infrastructure construite on libère un génie multiplicateur d’intérêts. De telles délégations de gestion représentent des chiffres d’affaire échelonnés sur plusieurs décades, surtout quand on peut les atteler à des budgets nationaux suffisamment faibles pour recourir à des partenariats entre les domaines public et privé (PPP) qui engagent l’État, c’est-à-dire le citoyen, ceci d’autant plus aisément que le levier de l’État permet au privé de bénéficier de prêts bancaires particulièrement intéressants et fiables pour les organismes financiers prêteurs.
Dans le sud ouest de la France nous sommes habitués depuis plusieurs années à être confrontés avec l’attitude hautaine du maître d’ouvrage GPSO des LGV du sud ouest, habitués à dénoncer les hypothèses de définition fausses quand elles sont écrites, malhonnêtes quand elles ont recours à des sondages orientés et mensongères quand elles affichent des chiffres non démontrés voire utopiques .
Dans le cas de Notre dame des Landes un récent article démontre que l’estimation de rentabilité a été honteusement manipulée en utilisant une « valeur du temps » pour les « voyageurs interurbains », c’est-à-dire pour les gens qui se rendent à l’aéroport, cinq fois supérieure à celle réelle, ceci bien qu’un audit externe ait révélé cette « erreur » .
Dans le cas de la liaison ferroviaire Lyon-Turin un référé de la Cour des Comptes adressé au Premier Ministre mentionnait que le projet était insuffisamment défini, que le coût des études préliminaires avait été multiplié par cinq, que les prévisions de trafic étaient erronées et que la rentabilité socio-économique n’était pas démontrée.
Dans ces trois cas les projets sont validés et leur développement est en cours, ceci bien que des études objectives démontrent leurs inadéquations avec les spécifications fonctionnelles comme leur valeur socio-économique catastrophique.
L’analyse de la réponse du Premier Ministre au référé de la Cour des Comptes dans le cas du projet de ligne ferroviaire Lyon Turin est révélatrice de la raison pour laquelle nos gouvernants sont sourds et aveugles aux réalités que masquent ces projets .
Les équipes gouvernementales ne sont pas suffisamment compétentes pour pouvoir analyser les arguments des lobbies des entreprises du BTP : qui peut discuter des modèles économétriques avancés par les ingénieurs des ponts des entreprises du BTP pour justifier leurs calculs sinon d’autres ingénieurs des ponts intégrés dans les équipes gouvernementales ? Ceci est d’autant plus difficile que les services de marketing des entreprises du BTP inondent les médias de contre vérités. Ainsi on démontre que les prévisions de trafic nécessitent des infrastructures importantes en termes de budget, puis la réalité intervenant en cours d’exploitation, on démontre aussi facilement que la rentabilité n’étant pas au rendez-vous une participation complémentaire de l’Etat est nécessaire.
L’exemple récent de l’A65 en est patent, les collectivités territoriales ayant accepté dans le contrat initial un dédommagement de l’exploitant en cas de trafic insuffisant. C’est d’ailleurs le cas mais les hypothèses initiales prises par le concessionnaire de l’A65 étaient, semble-t-il, notoirement surestimées.
Ces arguments sont associés à l’argument politique aujourd’hui essentiel. Il faut lancer, dans le contexte économique de l’Europe, de grands projets permettant de « relancer la machine économique » et l’absence d’imagination de nos gouvernants ne voient que les projets de BTP aptes à être inscrits au chapitre des grands projets.
Dans leurs bureaux et devant leurs marocains nos gouvernants ne comprennent pas trois caractéristiques essentielles de ces projets, caractéristiques que les entreprises du BTP occultent volontairement dans l’analyse contradictoire de l’intérêt de ces projets.
Leurs première caractéristique c’est qu’ils ne participent pas au développement du PIB marchand de la France mais qu’au contraire ils consomment une partie important du budget de l’Etat et l’engage contractuellement sur plusieurs dizaines d’années.
Ce qui est plus grave c’est que les grandes entreprises du BTP qui bénéficient de ces contrats utilisent une partie des bénéfices associés à promouvoir leurs activités internationales et engranger des actifs correspondants mais sans en rétrocéder une partie à l’État, partenaire essentiel dans les contrats nationaux. Pour comprendre ceci il faut se rappeler que ces infrastructures étaient initialement du ressort des services d’un Ministère de l’équipement, dont les fonctions ont été intégrées aujourd’hui dans un Ministère à domaine élargi. Les délégations de services qui sont faites aujourd’hui par ce Ministère à des entreprises privées ne contiennent pas uniquement le rôle de maître d’ouvrage qui était sien mais comprennent des activités commerciales. A ce titre il serait normal que les bénéfices associés puissent être partagés avec le Ministère qui a fait la délégation de ses services. Ne pas le faire constitue une privation des citoyens de l’investissement qu’ils ont consenti par l’impôt.
La seconde caractéristique de ces projets est qu’ils ne participent pas aux investissements d’avenir que nécessite le développement de la nation mais qu’ils pourraient n’être uniquement que des investissements de « confort » si leur justification était démontrée, ce qui n’est pas du tout le cas de tous les projets que nous connaissons.
Enfin, et cette dernière caractéristique est certainement la plus importante dans le contexte du défi environnemental que pose le développement de la population mondiale, ces projets éradiquent définitivement des portions de territoire qui représentent un atout fondamental pour notre base de vie c’est-à-dire la terre, l’eau, l’agriculture et l’environnement comme éléments essentiels de la vie. La gestion qu’ils proposent des ressources naturelles qu’ils impactent (gestion des ressources en eau, gestion des forêts non cultivées, gestion de la faune et de la flore sauvages) se limite à en augmenter le prélèvement sans retour possible à l’état initial. Ces projets diminuent donc notre capital environnemental.
Cette dernière caractéristique qui est à mettre au débit de ces projets ne peut être perçue par nos gouvernants car elle n’est évidemment jamais abordée par les grandes entreprises du BTP lors d’une analyse objective du projet et l’avis des agriculteurs n’est jamais bien considéré dans certains milieux ministériels. Le contexte n’apparaît que lorsque les agriculteurs dépossédés hurlent de désespoir devant la contrepartie offerte et seuls les citoyens sont proches des agriculteurs, proximité de cœur, de raison sinon de voisinage.
Je crois qu’il nous faut donc être prêts à de rudes confrontations, en réunions, en débats publics tout d’abord.
L’exemple de Notre Dame des Landes va certainement être le premier parmi toutes les confrontations à venir.
Le 10 février 2013
M. Lavictoire
Membre du CADE