Les luttes pour les terres agricoles: terres de Gonesse et Saclay

Documentation – Pour ceux qui ont suivi cette lutte contre la Société du Grand-Paris ainsi que contre le GPII Europacity (Gonesse, méga-centre commercial et sa piste de ski artificielle), le journal Le Monde publie  l’appel pour le classement UNESCO sur le web et l’édition papier: un Appel, signé par des scientifiques et personnalités de renom, appelant au classement des terres agricoles de Saclay et de Gonesse au patrimoine mondial de l’UNESCO, vient de paraître dans le Monde (texte complet ci-dessous pour les non-abonnés):
https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/09/14/le-gouvernement-doit-prendre-les-mesures-qui-s-imposent-pour-sauver-les-terres-de-gonesse-et-de-saclay_6141524_3232.html

« Nos sols nourriciers sont en danger » : l’appel pour le classement des terres de Gonesse et de Saclay au patrimoine mondial de l’UNESCO – soutenu par de nombreuses organisations (tract)

Des personnalités du monde de la recherche et de la culture lancent un appel au gouvernement pour le classement des terres du Triangle de Gonesse et du Plateau de Saclay au patrimoine mondial de l’UNESCO. Menacées par la construction imminente de deux lignes de métro du Grand Paris Express, ces terres constituent selon ses signataires un bien commun d’une valeur universelle, appelé à jouer un rôle vital dans la résilience de la métropole parisienne face aux chocs climatiques.

TEXTE – L’été 2022 marque un tournant. Des pics de température à 45 degrés, une sécheresse sans précédent, des incendies et tempêtes qui ravagent des régions entières : par leur brutalité, ces derniers mois ont impressionné y compris ceux qui ne se sentaient pas encore concernés par les effets du dérèglement climatique.

Mais l’effroi qui nous saisit désormais tient moins à la sévérité de ces événements qu’à la certitude de devoir les affronter chaque année, avec une intensité redoublée.

La sagesse voudrait que toutes les politiques publiques se décident à l’aune de cette nouvelle réalité. Chaque choix en matière d’aménagement du territoire, de transport, d’approvisionnement en énergie et en nourriture, devrait compter avec l’épuisement des écosystèmes. Depuis plusieurs années, l’ensemble de la communauté scientifique clame l’absolue nécessité de préserver les sols autour des villes : toute nouvelle artificialisation accroît la menace sur notre avenir.

Aussi, nous, signataires de ce texte, demandons solennellement au gouvernement français de prendre les mesures qui s’imposent pour sauver les terres de Gonesse et de Saclay. Nous lançons un appel pour que ces écosystèmes, dont le rôle est vital pour notre survie, soient classés au patrimoine mondial de l’humanité.

Les terres de la plaine de France et du plateau de Saclay figurent parmi les plus fertiles au monde. Leurs rendements élevés – plus de 100 quintaux de maïs et de blé tendre à l’hectare aujourd’hui –  expliquent en grande partie le développement démographique, économique et culturel de Paris et de sa région depuis le Moyen-Âge. Cultivés depuis des millénaires, ces sols, d’une valeur géologique et hydrologique exceptionnelles, sont le résultat d’une accumulation de loess datant de la dernière ère glaciaire, qui remonte à 100 000 ans. Ils sont constitués de limons éoliens profonds, d’une épaisseur de trois à quatre mètres à Saclay, et jusqu’à six mètres sur le Triangle de Gonesse. S’ajoute à cela une couche d’argile qui assure un stockage de l’eau en profondeur : cette réserve hydrique permet une forte productivité des cultures, sans irrigation, même par les étés les plus chauds.

 

Outre leur rôle nourricier, les espaces agricoles absorbent les eaux de pluie et réduisent le ruissellement et les risques d’inondation. Ils rafraîchissent l’air, de plus en plus étouffant, de nos villes. Pendant les épisodes de grande chaleur, les terres jouent un rôle important dans la régulation du micro-climat de la région parisienne, touchée de plus en plus fréquemment par le phénomène des îlots de chaleur urbain en raison de la très forte artificialisation de ses sols.

Sur des milliers d’hectares, ces terres sont des réservoirs de biodiversité : elles abritent une vie complexe, le plus souvent invisible, permettant la symbiose entre animaux, végétaux, bactéries et champignons.

Les terres agricoles offrent aussi un immense potentiel de stockage de  carbone. N’est-ce pas la France qui, lors de la COP 21, a incité les pays du monde à s’engager dans la transition vers une agriculture régénératrice ? Les champs de Gonesse et de Saclay, dernières terres aux portes de Paris, seraient un terrain d’expérimentation idéal.

N’oublions pas la valeur patrimoniale exceptionnelle de ces territoires, dont l’histoire remonte au Néolithique. Sur le Triangle de Gonesse, des fouilles archéologiques ont révélé la présence de silos à grains enterrés remontant à 2500 ans avant notre ère. A Saclay, les vestiges de plusieurs domaines datant de l’âge du fer attestent de la continuité de l’activité humaine sur le plateau. Encore aujourd’hui, les paysages et le patrimoine bâti – les corps de fermes, églises, moulins, pigeonniers, lavoirs et aqueducs – constituent un témoignage remarquable du mode de vie agricole autour de Paris, dont l’approvisionnement alimentaire, contrairement à Londres, dépendait presque exclusivement des terres situées à proximité des zones habitées.

Or le destin promis à ces territoires par les aménageurs consiste à défendre encore et toujours une « croissance » aussi hypothétique que ravageuse. Sur le plateau de Saclay, la Société du Grand Paris persiste à vouloir construire la ligne 18 Ouest du Grand Paris Express, qui détruirait des milliers d’hectares de terres arables dans une zone actuellement sans habitant, et alors que d’autres solutions de transport publics moins destructeurs et adaptés aux besoins des habitants et travailleurs du plateau sont possibles.

Au nord de Paris, où l’on croyait les champs de Gonesse sauvés de la destruction depuis l’abandon du méga-centre commercial EuropaCity et de sa piste de ski artificielle, le gouvernement a annoncé la reprise des travaux de la ligne 17 Nord, en direction du village du Mesnil-Amelot, peuplé seulement de 1 100 habitants, en passant par l’aéroport Roissy-Charles-De-Gaulle. Dans cette zone où l’habitat est interdit en raison du bruit des avions, le gouvernement veut construire une cité scolaire avec internat… Enfin, la ligne 17 Nord aboutirait à la création d’une troisième offre de transport entre Paris et l’aéroport. Un choix particulièrement absurde alors que l’argent public manque cruellement pour répondre à de véritables besoins, comme la rénovation des transports existants, l’éducation et la santé.

Il est encore possible d’éviter ce gâchis. En soutenant le classement des terres de Gonesse et de Saclay sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, le gouvernement mettrait enfin en lumière la fertilité exceptionnelle de sols qui ont permis à nos lointains ancêtres de s’installer sur ce territoire. Un tel classement permettrait aussi aux collectivités d’Île-de-France de s’engager enfin dans la constitution d’une Ceinture Verte alimentaire autour de Paris, ce qui renforcerait son autonomie, à l’heure où le prix des matières premières, notamment agricoles, explose.

Les pouvoirs publics démontreraient ainsi que la véritable innovation au XXIè siècle ne consiste plus à urbaniser sans fin les territoires péri-urbains, mais à les cultiver pour et avec leurs habitants.

Nos sols nourriciers sont en danger. Nous, citoyennes et citoyens du XXIème siècle, devons être les gérants de ce trésor, qui nous a été transmis au fil des millénaires. Notre devoir est de protéger ce patrimoine et de le faire fructifier afin de le transmettre, à notre tour, aux générations suivantes.

Annexe – Les principaux arguments pour le dossier de candidature des terres de Saclay et de Gonesse au patrimoine mondial de l’humanité :

 Les terres de Saclay et de Gonesse constituent une ressource exceptionnelle, non renouvelable à l’échelle des générations humaines.

La structure géologique et les aménagements hydrauliques du plateau de Saclay (qui datent de l’aménagement du château de Versailles) jouent un rôle essentiel dans la circulation des eaux de la région, à la fois comme collecteur, comme réservoir et comme régulateur. La sécurité de vastes territoires situés en vallée en dépend, dont les secteurs fortement urbanisés de Gif-sur-Yvette à Longjumeau, en passant par Palaiseau, pour la vallée de l’Yvette, de Buc à Massy pour la vallée de la Bièvre, et de Chateaufort à Gif-sur-Yvette pour la vallée de la Mérantaise. La construction de la ligne 18 du Grand Paris Express bouleverserait irrémédiablement cette base géologique. Les zones urbanisées en vallée ont déjà été touchées à plusieurs reprises par des inondations liées au bétonnage, au goudronnage et au compactage de terres qui laissent ruisseler l’eau, au lieu de l’absorber.

A Gonesse, le plateau limoneux emmagasine d’importantes réserves en eau, réduisant ainsi les risques de ruissellement, d’érosion hydrique et d’inondations soudaines. Les sols de limon de plateau sont arrivés à l’optimum de leur développement au bout de 10 000 à 12 000 ans, après la fonte des glaces de la dernière glaciation. La colonisation par des racines et par une faune spécifique explique que la biodiversité y est riche.

Ces terres ont une valeur agricole et alimentaire exceptionnelle. Situées aux portes de Paris, les terres du plateau de Saclay et de la plaine de France, aujourd’hui majoritairement céréalières, assurent de hauts rendements, sans arrosage.

Une partie de ces zones agricoles est déjà en transition vers une agriculture durable et de proximité. Sur le plateau de Saclay, la proportion d’agriculture biologique est de 20%. S’y développent le maraîchage, l’élevage et la cueillette à la ferme, ainsi que des Amap (Associations pour le maintien de l’agriculture paysanne), qui créent des échanges directs entre agriculteurs et consommateurs. Dans la plaine de France, plusieurs collectivités développent des projets alimentaires territoriaux visant à développer leur autonomie alimentaire et à augmenter dans la restauration collective (Ehpad, cantines) la part des aliments issus de l’agriculture biologique et sous label de qualité, conformément à la loi Egalim.

Enfin, ces espaces ont une exceptionnelle valeur patrimoniale. Des fouilles archéologiques attestent d’une activité agricole à grande échelle sur le plateau de Saclay dès le début du IIe siècle avant notre ère, avec des vestiges de nombreux domaines agricoles et de sites aristocratiques gaulois. Après la conquête romaine de la Gaule, les villae s’implantent sur ces emplacements. Mais ce n’est qu’à partir du milieu du Ier siècle de notre ère qu’émerge une architecture maçonnée en lieu et place des principaux bâtiments sur charpente de bois. L’élevage et la culture de l’avoine, de l’orge vêtue, du blé, du seigle et des lentilles s’intensifient grâce à l’optimisation des techniques de drainage. À l’époque moderne, de nombreuses fermes sont construites à l’emplacement même d’occupations plus anciennes. Un vaste réseau d’étangs et de rigoles est mis en place. Une ancienne carrière de marne, une autre de grès et un vaste réseau de drainage ont été révélés par les fouilles. Le maraîchage devient une activité prédominante aux XIXe et XXe siècles. (source : INRAP).

A Gonesse, les archéologues ont trouvé des vestiges de l’activité agricole remontant au Néolithique. Entre le XIe et le XIVe siècle, Gonesse se fait connaître pour la fabrication et le commerce d’un drap de laine appelé « gaunace », qui est fabriqué dans les moulins à draps situés le long du Croult, une rivière en grande partie recouverte aujourd’hui. A partir du XIIIe siècle, s’y fabriquent des pains appelés pains de Gonesse, ou encore pains de chapître, parce qu’ils approvisionnaient le chapître de la cathédrale Notre-Dame-de-Paris. Enfin selon certains historiens, le roi Philippe II, dit Philippe-Auguste, qui a fait de Paris la capitale de la France, serait né à Gonesse.

Profondément transformés au cours du XXe siècle avec le remembrement des terres et l’expansion urbaine de Paris, les paysages de la plaine de France et du plateau de Saclay offrent aujourd’hui un témoignage unique de la transformation de territoires agricoles pris dans la mondialisation des échanges : trois aéroports internationaux (Le Bourget,  Roissy-Charles-De-Gaulle et Orly) y ont été construits, tandis que l’agriculture, autrefois basée sur la diversité et le caractère local des approvisionnements, s’est tournée vers des productions en mono-culture, qui s’écoulent aujourd’hui majoritairement sur des marchés mondialisés.

De nombreuses études décrivent la manière dont les fonctions écologiques, culturelles et socio-économiques des espaces agricoles ont joué un rôle structurant dans la construction de l’identité métropolitaine de Paris et de la région Île-de-France. La mise en valeur de la production agricole locale permettrait de renouer avec ce prestigieux passé, et de créer les conditions d’un développement économique soutenable, à la fois pour les producteurs et pour les consommateurs, dont de nombreux visiteurs.

La France, première destination touristique au monde, compte 49 biens classés au patrimoine mondial de l’humanité de l’UNESCO. Défendu par les pouvoirs publics à partir d’une liste indicative, chaque dossier est soumis au comité du patrimoine mondial, chargé d’instruire les candidatures.

En 2010, l’UNESCO a notamment classé « le repas gastronomique des Français » comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité.

Le classement des terres de Gonesse et de Saclay sur la liste de l’UNESCO permettrait non seulement de mettre en valeur un passé remarquable, mais aussi d’informer le public, à l’heure du dérèglement climatique et de l’effondrement de la biodiversité, de la valeur inestimable des sols agricoles et des nombreux services écosystémiques qu’ils nous rendent.

ACTION EN COURS: L’appel sera présenté par nos deux collectifs (CPTG et CCL18) à la presse et au public demain vendredi 16 septembre lors d’un meeting-concert de soutien à la salle Olympe de Gouges, au 15 rue Merlin, Paris 11ème (à partir de 18h).
Informations et programme :
https://nonalaligne18.fr/urgence-terres-agricoles-de-gonesse-et-saclay-en-danger/
https://www.facebook.com/events/769018661003263/
Tract d’appel à télécharger : https://ouiauxterresdegonesse.fr/wp-content/uploads/2022/08/2022-09-16-Tract-Meeting-Concert-VF.pdf

A l’heure des graves crises climatique, environnementale, énergétique et alimentaire dans lesquelles nous entrons aujourd’hui, et bien au-delà de la seule sauvegarde des terres de Gonesse et Saclay, c’est la question de la sanctuarisation urgente de toutes nos terres agricoles, forêts et espaces naturels, et de leur valeur inestimable pour la survie de l’humanité, qui est posée à travers cet appel.

Une course de vitesse est par ailleurs engagée dans la préservation de ces espaces, le gouvernement, les élus locaux et certains partis (LR) cherchant en coulisse à retarder au maximum la mise en place du principe de Zero Artificialisation Nette. Voir par exemple :
https://www.maire-info.com/urbanisme/zan-christophe-bechu-appelle-les-prefets-respecter-processus-prevu-par-la-loi-article-26668

Il sera important qu’un maximum de personnes, élus locaux, acteur.ices associati.ve.s de terrain, militant.e.s du mouvement social et du climat, syndicalistes, scientifiques, étudiant.e.s, simples citoyen.ne.s, soient présentes le 16 septembre pour soutenir cette inititiative, dont la portée symbolique permettra de poser publiquement le débat.

Notre action se poursuivra dans les semaines qui suivront, avec notamment en octobre sur le plateau de Saclay la grande marche Terminus Saclay soutenue par ATTAC France (date du 16 octobre encore à confirmer).

 

 

 

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