« Peut-on en finir avec les décharges sauvages ? » article de CA M’INTERESSE du 03/09/17 – http://www.caminteresse.fr/environnement/peut-on-en-finir-avec-les-decharges-sauvages-1186962/
Extrait: « Les trois quarts des déchets viennent des chantiers. Beaucoup sont déversés en pleine nature où ils sont parfois déguisés en collines ou murs antibruit. Janvier 2017. À Larressore, dans les Pyrénées- Atlantiques, un parking privé s’effondre, arrachant les arbres et emportant des centaines de mètres cubes de terre, qui déboulent en contrebas de la colline. L’enquête menée révèle qu’il avait été remblayé illégalement avec des déchets de chantier : morceaux de parpaing, vieux pneus, qui s’accumulent aussi au fond de la vallée et dans le ruisseau… « Un mois plus tard, nous avons constaté que des gravats étaient de nouveau acheminés par camion, pour consolider ce parking », témoigne Victor Pachon, président du Collectif des associations de défense de l’environnement du Pays basque et du Sud des Landes (Cade). Nous avons suivi les poids lourds et découvert qu’ils provenaient d’un chantier de démolition d’un supermarché d’Anglet. » Photos à l’appui, les militants du collectif signalent alors le trafic aux autorités, qui stoppent le chantier. Et ils n’en sont pas à leur coup d’essai : depuis trois ans, ils ont constitué des dizaines de dossiers sur des décharges sauvages… »
A lire, un texte de la journaliste communiqué au CADE
« Des bouts de parpaing, des vieux pneus, des morceaux de polystyrène accumulés en fond de vallée, dans le lit d’un ruisseau… Nous sommes à Larressore dans les Pyrénées-Atlantiques. Début janvier 2017, le parking d’un particulier remblayé illégalement avec des déchets de chantier, s’effondre arrachant les arbres et des centaines de mètres cubes de terre qui déboulent en contre-bas de la colline. «Un mois plus tard, nous avons découvert que des gravats étaient de nouveau acheminés par camions, pour consolider ce parking, témoigne Victor Pachon président du collectif des associations de défense de l’environnement du Pays Basque et du Sud des Landes (Cade). Nous avons suivis les poids-lourds afin de localiser le point de départ de ce trafic et découvert qu’ils provenaient d’un chantier de démolition d’un magasin Leclerc à Anglet ». Les militants de ce collectif transmettent, photos et géolocalisation à l’appui, un dossier de signalement au maire et aux services de l’état qui dans la foulée stoppent le chantier. Ces militants n’en sont pas à leur coup d’essai : depuis trois ans, et malgré les menaces, ils ont constitué des dizaines de dossiers sur des décharges sauvages.
Il n’y a pas qu’au pays basque qu’elles défigurent le paysage. Sur 1200 sites de stockage de déchets issus du BTP, moins de la moitié est légale, estime l’Union nationale des exploitants des déchets (UNEP).
Les entreprises du BTP produisent 227,5 millions de tonnes de rebuts, chaque année (données 2014). C’est six fois plus que les ménages ! 80 % sont des gravats, -terre, cailloux, béton, brique, verre-, 18 % sont des matériaux non dangereux -plâtre, bois, métaux, plastique- et 2% des déchets dangereux-amiante, penture-. La très large majorité des gravats sont réutilisés directement sur place ou sur un autre chantier, dirigés vers des installations de recyclage ou le remblaiement des carrières. Ce n’est pas le cas des autres déchets du BTP, produits essentiellement par les entreprises du bâtiment. Seuls 12 % sont valorisés. Le reste est censé finir en déchèterie ou dans une décharge spécialisée… Mais c’est loin d’être toujours le cas. Les tas de quelques mètres cube, mélangeant plaques ondulées en fibrociment amianté, vestiges de cabines de douche, emballages plastiques fleurissent sur les chemins, en bordure de sous-bois au grand damne des collectivités locales. Le département de Seine et Marne par exemple a ramassé 1 082 tonnes de déchets – dont 27 tonnes d’amiante – en bordure de ses 4325 km routes départementales en 2015. Coût de l’opération : 662 000€. La Communauté d’Agglomération Cergy Pontoise évalue que ces dépôts sauvages représentent entre 12,3 et 13,8 kg par habitant par an, repartis sur environ 200 sites. Marseille et Roubaix par exemple, ont développé des applications afin que les citoyens signalent et géolocalisent ces dépôts illégaux avec leurs smartphones.
La région Provence-Alpes-Côte-d’Azur (Paca) fait régulièrement la une pour un autre phénomène : les décharges illégales. Il y en aurait environ 120, selon la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement – PACA. Il ne s’agit plus alors de tas, mais de montagnes, dont certaines sur la côte méditerranéenne peuvent dépasser 10 mètres de haut. On y trouve parfois du matériel de chantier comme des concasseurs. Cette activité peut s’avérer très lucrative : les gendarmes ont démantelé dans le Var en juin 2016, un réseau de décharges sauvages de déchets d’entreprises du BTP sur quatre sites importants, où plusieurs centaines de milliers de mètres cubes auraient été déversés. Une activité qui aurait généré 1,8 million d’euros de gain.
Ce n’est pas tout. Les déchets du BTP sont aussi éliminés illégalement dans des constructions inutiles, dénonce la direction de la prévention des risque du ministère de l’environnement dans une note publiée en mars 2016. « Des murs d’isolation phonique sont parfois réalisés alors qu’aucune habitation ne nécessite d’être protégée du bruit, cite-t-elle comme exemple. Les déchets du BTP sont également utilisés par des particuliers pour rehausser leur terrain ou encore construire des digues, pour se protéger des crues. 90 procédures pénales pour ce type d’infractions ont été transmises aux parquets de Toulon et Draguignan ces trois dernières années par la préfecture du Var. Ces aménagements sont susceptibles d’aggraver les inondations et amont et en aval. C’est le cas également lorsque les déchets du BTP sont bazardés sur des zones humides – prairies à joncs, bords de ruisseau, mares, etc- parfois dans le but de les remblayer pour les cultiver. Ce qui est le cas dans le Finistère par exemple. Le territoire du bassin versant des trois rivières, l’Ellé, l’Isole et la Laïta compte 15 % de zones humides ce qui est considérable car la moyenne nationale plafonne à 3 %. « Ces espaces naturels jouent des rôles majeurs : véritables éponges, ils ralentissent les écoulements en cas de crue et limite le risque d’inondation en aval, souligne Romain Suaudeau, animateur du schéma d’aménagement et de gestion des eaux Ellé, Isole, Laïta. Elles constituent aussi des réserves d’eau pour la recharge des nappes phréatiques en été, en cas de sécheresse. Ce sont aussi des niches de biodiversité ». Entre 37 et 617 euros à l’hectare : c’est la somme qu’une zone humide fait économiser pour la lutte contre les inondations, estime le Commissariat général au développement durable. Ce montant varie de 15 à 11300 euros pour l’épuration de l’eau, 45 à 150 euros pour le soutien au débit des rivières. Or les deux tiers de ces espaces naturels ont été détruits ces 30 dernières années en France. « Beaucoup de zones humides en fond de vallée et difficiles d’accès ont été remblayées par des déchets de chantier sur notre territoire, déplore Romain Suadeau. Et malheureusement cela continue ». Par ailleurs ces dépôts lorsqu’ils recèlent de déchets dangereux comme des résidus de peinture et de solvants, du bois traités avec des oxydes de métaux lourds, ou des hydrocarbures provoquent des pollutions susceptibles d’impacter la faune et la flore mais aussi les riverains en contaminant les gisements d’eau potable. Sans compter que l’évacuation des déchets et la réhabilitation du site peut coûter extrêmement cher. 20 millions d’euros, pour effacer les stigmates d’une décharge illégale à Limeil-Brévannes (94), facture payée par les contribuables car la société LGD qui la gérait a fait faillite.
Pourquoi certaines entreprises du BTP vont-elles se débarrasser de leurs déchets dans la nature ou dans des installations illégales ? C’est un problème d’incivisme mais pas seulement. D’abord notre pays manque d’installations pour les collecter. Ce déficit pourrait s’aggraver en particulier en Ile-de-France. Les multiples chantiers du Grand Paris Express vont générer 43 millions de tonnes de terre d’ici 2030, ce qui représente 10 à 20 % de plus que les volumes produits chaque année sur toute l’Ile-de-France. « Il manque plusieurs dizaines d’installations de stockage de déchets inertes par exemple, estime Albert Zamuner, président de l’UNED. Il faut améliorer le maillage du territoire pour éviter que les entreprises n’aient des dizaines de kilomètres à faire pour se débarrasser de leurs gravats ».
Ensuite, beaucoup d’entreprises, pour tirer leur devis vers le bas, ne prévoient pas de ligne budgétaire pour les déchets. Pourtant leur gestion coûte cher : entre 200 et 1200 euros la tonne, hors transport, lorsqu’ils ne sont pas triés. Ce qui les incitent à les jeter n’importe où. Jusqu’alors, beaucoup de collectivités locales, qui sont souvent commanditaires des travaux, ne se préoccupaient pas du devenir des déchets produits sur leurs chantiers. Mais elles vont devoir ouvrir les yeux. En effet, la loi de transition énergétique prévoit que 70 % des déchets produits sur les chantiers y compris routiers, dont les collectivités sont maîtres d’ouvrage devront être réemployés ou orientés vers le recyclage, d’ici 2020. Certaines le font déjà. Les entreprises qui effectuent des travaux sur la voirie à Paris doivent acheminer les pavés vers une plateforme de recyclage gérée par la ville. 10 000 tonnes de granit sont ainsi récupérées et valorisées. Autre avancée majeure dans la lutte contre les dépôts sauvages prévue par la loi de transition énergétique: les magasins de matériaux pour les professionnels du BTP doivent créer des points de reprise des déchets, depuis le 1er janvier 2017.
Si des indélicats persistent à vider leurs bennes au creux des chemins : à bon entendeur salut. De plus en plus de communes et d’agglomérations investissent dans la vidéo-surveillance et équipent les dépôts sauvages les plus fréquentés de caméras, pour les prendre en flagrant délit. »
transmis par Isabelle Verbaere , journaliste