perturbateurs endocriniens

31 pesticides, représentant un marché de plusieurs milliards d’euros,
auraient pu être interdits si un rapport sur les perturbateurs endocriniens
n’avait pas été amendé par la Commission européenne: un article du Guardian.
Un rapport commandité par la Commission européenne, consulté par un
journaliste du Guardian, soulignait la dangerosité de certains perturbateurs endocriniens. Il recommandait de mettre en place des moyens d’identification et de classification de ces substances chimiques qui seraient responsables d’anomalies fœtales, de mutations génétiques, d’infertilité et d’autres menaces pour la santé humaine, du cancer à une diminution du QI.
Des sources à la Commission affirment que ce rapport a été caviardé par des
fonctionnaires européens, suite aux pressions des firmes chimiques, qui
utilisent des perturbateurs endocriniens dans des produits de toilette,
certains plastiques et cosmétiques. Le coût pour la santé humaine irait,
selon certaines études, jusqu’à des centaines de millions d’euros.
Le rapport, non publié, souligne que les risques liés à l’exposition aux
perturbateurs endocriniens, même à des taux très faibles, est si élevé que
l’utilisation de ces substances ne devrait pas être autorisées ou interdites
uniquement en fonction de leur puissance. Ses auteurs proposent des critères
en vue d’une classification des perturbateurs endocriniens et la mise en
place d’une stratégie d’interdiction basée sur ces critères qui auraient dû
voir le jour l’année passée. Or c’est justement ce que la Commission
européenne ne fait pas, pour l’heure.
>> Lire : Désaccords entre le gouvernement et l’industrie plastique sur le
bisphénol
<http://www.euractiv.fr/sections/sciences-legislation/desaccords-entre-le-go
uvernement-et-lindustrie-plastique-sur-lavenir?> A
Cette classification a en effet été bloquée par les lobbys de l’industrie
chimique, qui représentent entre autres Bayer et BASF, selon une source à la
Commission. Elle a été remplacée par des mesures plus permissives et par un
projet d’évaluation d’impact qui ne devrait pas être finalisé avant 2016.
« Nous étions prêts à appliquer les critères et les stratégies proposés dans
le rapport, mais le bureau du Secrétaire général nous a dit d’oublier tout
cela », a confié au Guardian une source au sein de la Commission. « Dans les
faits, ces critères ont été enterrés. Nous avons laissé passer une
législation affaiblie sur les biocides et les pesticides. »
>> Lire : L’Agence de sécurité des aliments désavoue la France sur la
dangerosité du bisphénol A
<http://www.euractiv.fr/sections/agriculture-alimentation/lagence-de-securit
e-des-aliments-desavoue-la-france-sur-la>
Querelles entre directions générales
Le mois dernier, dans une lettre pluripartite, onze eurodéputés se sont
plaints au commissaire à la santé et à la sécurité alimentaire, Vytenis
Andriukaitis. Selon eux, l’Europe n’a pas réussi à respecter son mandat et à
adopter les critères relatifs aux perturbateurs endocriniens.
Une interdiction aurait dû être adoptée en 2013. Aujourd’hui, ces critères
sont l’objet d’une procédure de justice entamée par la Suède, le Parlement
européen et le Conseil.
>> Lire : Lena Ek : le règlement REACH doit être amélioré
<http://www.euractiv.fr/sante/lena-ek-le-reglement-reach-doit-interview-5187
97>
Pour Catherine Day, qui occupe le poste clé de secrétaire générale de l’UE,
ce retard est lié à une mauvaise communication entre les
directions-générales de la santé (SANCO) et de l’environnement (ENVI), qui
se partageaient les responsabilités du dossier.
« [Les deux DG] ont travaillé dans des directions opposées, ce qui n’a aucun
sens. Le secrétariat général est donc intervenu pour les pousser à faire une
évaluation d’impact commune, afin de produire une analyse sur laquelle la
Commission puisse se baser », a-t-elle déclaré au Guardian.
« La Commission n’est pas tenue de publier ses documents de travail internes
», indique un autre porte-parole de l’exécutif européen. « Comme vous le
savez, la Commission agit en toute indépendance et dans l’intérêt général
européen. »
Selon une théorie popularisée par le film Endocrination, la DG SANCO agit en
tant que mandataire de l’industrie et protège ses intérêts lors de
l’élaboration des politiques européennes.
« Nous nous sommes beaucoup querellé avec SANCO », confirme une source de la
Commission. « À un moment donné, le secrétaire général a dû intervenir pour
interrompre le processus, puis tout s’est arrêté. On nous a dit que nous
devions nous mettre d’accord, SANCO et nous [ENVI], mais quand les deux DG
sont finalement arrivé à un accord, à contrecœur, le processus a encore été
bloqué par le secrétaire général. »
>> Lire : Consultation européenne en vue de restreindre l’utilisation du
bisphénol A
<http://www.euractiv.fr/sections/sciences-legislation/consultation-europeenn
e-en-vue-de-restreindre-lutilisation-du>
Une décision contraire au mandat de protection des citoyens
Angeliki Lyssimachou, toxicologue de l’environnement pour le Réseau d’action
contre les pesticides européen (PAN), explique : « Si les critères
d’interdiction proposés par la Commission avaient été correctement
appliqués, 31 pesticides seraient aujourd’hui interdits. Le mandat de la
législation liée aux pesticides – la protection des êtres humains et de
l’environnement face aux faibles taux de perturbateurs endocriniens présents
dans les pesticides – aurait alors été respecté. »
Au lieu del’identification de la présence de substances imitant les hormones
initialement proposée, la feuille de route actuelle de l’UE favorise une
réglementation basée sur la puissance des perturbateurs endocriniens. Selon
cette solution, recommandée par l’industrie, l’UE fixerait un seuil sous
lequel l’exposition aux perturbateurs endocriniens à faible puissance
serait considérée comme non dangereuse, même si aucune étude n’a été menée
sur les effets à long terme de cette exposition sur les êtres humains.
Les lobbys de l’industrie et de l’agriculture soutiennent cette approche,
tout comme le Royaume-Uni et certains ministres allemands. Selon eux, les
conséquences socio-économiques d’une interdiction de ces 31 pesticides et
biocides seraient désastreuses pour les communautés agricoles.
Une décision coûteuse
Selon une étude de la National Farmers’ Union (NFU) de 2014, l’interdiction
des produits protégeant les cultures pourrait coûter jusqu’à 40 000 emplois
et 2,3 milliards d’euros (soit 36 % des profits actuels) à l’industrie
agricole britannique.
Une étude du PAN estime quant à elle que selon les critères actuellement
envisagés pour la feuille de route, seul entre zéro et sept pesticides
pourraient être interdits.
Jean-Charles Bocquet, directeur de l’Association européenne de protection
des cultures, a cependant déclaré que « dans le pire des cas », son groupe
de vente de pesticides estimait que jusqu’à 60 produits pourraient être
retirés des rayons parce qu’ils contiennent un taux de perturbateurs
endocriniens trop élevé.
Ces produits, dont beaucoup appartiennent à la famille du triazole,
représentent plus de 40 % du marché européen, soit environ 8 à 9 milliards
d’euros, selon l’Association européenne de protection des cultures.
« Nous devons envisager la question des perturbateurs endocriniens en petite
quantité et peu influents d’une manière qui prenne en compte le risque
qu’ils présentent, mais aussi leurs bénéfices potentiels », souligne
Jean-Charles Bocquet. « C’est comme avoir une voiture très puissante, tant
qu’on la conduit avec attention, sans prendre de risques, on ne blessera
personne. »
Des inconnues de taille
La première proposition de la Commission soulignait cependant qu’il faudrait
des décennies de recherches intergénérationnelles pour quantifier les
risques liés aux perturbateurs endocriniens, et qu’il serait donc sage
d’adopter une approche plus axée sur la précaution.
La puissance des perturbateurs endocriniens « n’est pas un critère pertinent
dans la détermination de leur dangerosité », selon le rapport. « La
puissance, prise en compte seule, ne permet pas d’établir si le danger est
élevé/faible. Elle n’a de sens que si on la combine avec l’exposition et les
incertitudes qui demeurent quant aux perturbateurs endocriniens. »
Une exposition continue à de fortes doses d’une substance à faible puissance
peut être plus dangereuse qu’une exposition ponctuelle à de faibles doses de
substances très puissantes. « Il n’existe aucune méthode scientifique pour
définir un seuil en fonction de la puissance des perturbateurs. Cette
décision est toujours basée sur les effets », peut-on lire dans le rapport
de la Commission.
Le système endocrinien humain synthétise des messagers chimiques – les
hormones – dans un tissus avant de les transporter dans un autre tissus via
le système circulatoire, mais on n’en sait pas beaucoup plus sur la façon
dont ce processus fonctionne.
Les preuves scientifiques semblent indiquer que les effets des perturbateurs
endocriniens chez les humains, comme la baisse de qualité du sperme ou les
malformations génitales (testicules non-descendus, hypospades etc)
augmentent.
Une étude récente de la faculté de médecine de l’université de Washington a
listé 15 perturbateurs endocriniens présents dans les plastiques, les
produits de soins et de nettoyage qui auraient des effets sur la ménopause
précoce.
Lisette van Vliet, conseillère politique de l’Alliance de la santé et de
l’environnement, dénonce les pressions exercées par le Royaume-Uni, les
ministères allemands et l’industrie pour ralentir la protection des citoyens
contre les maladies chroniques et les dommages environnementaux.
« En réalité, il s’agit de décider si l’UE utilise ouvertement et
honnêtement les meilleurs avis scientifiques pour identifier les
perturbateurs endocriniens, ou si les intérêts de certaines industries et
deux ministères ou agences de deux pays parviennent à leurs fins, au
détriment de la protection de la santé publique et de l’environnement »,
souligne-t-elle.
Catherine Day rétorque que le système endocrinien est un domaine beaucoup
plus complexe que ce que décrivent certaines ONG.
« Je n’ai pas besoin de dire que notre position n’a pas été influencée par
l’industrie, ou qui que ce soit d’autre », a-t-elle déclaré. « Ce qui nous
importe, c’est la qualité et la cohérence des travaux de la Commission, mais
certains ne sont pas prêts à attendre. »
>> Lire : L’UE interdit les biberons produits avec du bisphénol A
<http://www.euractiv.fr/agriculture/ue-interdit-biberons-produits-bisphenol-
6986.html>
Partenariat avec The Guardian – Arthur Neslen – traduit de l’anglais par
Manon Flausch <http://www.euractiv.fr/authors/manon-flausch>

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