Les LGV ou les rails de la déraison

Par Pierre Recarte Vice président du CADE

Nos sociétés contemporaines ont érigé la vitesse en mode de vie incontournable. Quel réconfort pour le bâtisseur contemporain ou le dirigeant politique que d’observer une campagne traversée comme l’éclair par des trains à grande vitesse perchés sur leur digue de ballast !

Ils se gonflent d’orgueil, ils sont dans la modernité.

La même modernité convoquée il y a quarante ans avec le Concorde, remisé aujourd’hui dans les placards de l’Histoire.

La « doctrine LGV » c’est le gain de temps. C’est « l’effet vitrine » dont use et abuse Réseau ferré de France (RFF) pour justifier ses projets.

La grande vitesse implique que le train ne s’arrête pas, il faut aller vite d’un point à un autre.

Les habitants des villes sans desserte TGV perdent la qualité du service offert jusque-là par le réseau existant.

Depuis les années soixante-dix, la finalité du système TGV était de rapprocher les métropoles de la capitale.

Trente ans plus tard, géographes et économistes dénoncent son principal effet négatif, « l’effet tunnel ». En effet, le système polarise positivement les extrémités des lignes : en général, des métropoles régionales, aux dépens des pôles urbains intermédiaires.

Le TGV, en écrémant la clientèle la plus rémunératrice des lignes classiques, entraîne un abandon progressif de ces lignes et des dessertes. Puis la SNCF les déclare déficitaires et les ferme.

Une ligne à grande vitesse repose sur des circulations entre grandes métropoles, distantes de 200 à 400km. C’est au niveau de la métropole que se concentrent les lieux de décision d’ordre économique et politique, comme la recherche et l’innovation, et que se forment les réseaux contribuant à structurer les territoires.

Il semble bien que les décideurs politiques aient parfaitement compris que les LGV sont un atout pour les seules grandes métropoles et un handicap pour les villes moyennes.

Toutes les études s’accordent pour dénoncer cette « désertification des zones
intermédiaires ».

Pour obtenir le financement des LGV par les collectivités territoriales, les décideurs font miroiter des retombées positives  liées au désenclavement et à la compétitivité des territoires. Les experts, eux, sont nettement plus circonspects car les LGV déménagent le territoire plus qu’elles ne l’aménagent.

Élus et promoteurs survalorisent les retombées sur les économies locales. Pour eux, une LGV et une gare feront naître une technopole avec des entreprises innovantes et dynamiseront l’emploi dans les villes moyennes. En fait, il n’en est rien. Aucune étude sérieuse ne confirme cela mises à part les plaquettes publicitaires de RFF… Le plus souvent l’impact économique sur les villes moyennes est illusoire. C’est le constat que font toutes les études.

L’enjeu de la transition écologique et énergétique, l’exigence d’une mobilité sûre conduisent à donner la priorité aux modes de déplacements et de transports alternatifs à la route. C’est dans ce contexte que les pouvoirs publics tentent de réduire la circulation routière et les émissions de gaz à effet de serre (GES) au profit d’autres moyens de transport plus respectueux de l’environnement. Le report modal est donc actuellement un enjeu majeur pour notre société. Mais la LGV n’est pas la réponse pertinente en l’absence de saturation du réseau actuel.

Quand on élabore une politique d’aménagement du territoire pertinente et durable, il faut non seulement en examiner ses effets économiques ou écologiques mais aussi sa portée sociale. Celle-ci implique que les politiques publiques n’engendrent pas de dysfonctionnements sociaux, par exemple en excluant certaines populations de l’accès aux services publics. Or le TGV ne bénéficie qu’à 8% des usagers du train.

En revanche, la demande de mobilité locale au quotidien est forte et émane de l’ensemble de la population. La commission Mobilité 21 en a pris conscience : « C’est bien le service rendu qui est essentiel.» Elle estime ainsi qu’un schéma de mobilité durable doit avoir pour objectif d’assurer le niveau de service dont les territoires et leurs populations ont réellement besoin dans une approche qui, pour être soutenable, doit être adaptée aux situations.

En trente ans, le TGV a transporté 1,8 milliard de voyageurs. Sur la même période les autres trains de la SNCF ont entassé… 21 milliards de voyageurs dans la seule région parisienne.

Guillaume Pepy, le grand patron du rail français confirme cette énorme discordance : « Chaque jour, neuf clients sur dix de la SNCF voyagent sur un autre train que le TGV. La SNCF, c’est 5 millions de voyageurs par jour, là-dessus le TGV n’en transporte que 300 000. »

Comment expliquer cette obstination irraisonnée de certains politiques à vouloir se doter d’un moyen de transport qui ne bénéficie qu’à 8% des usagers du train ? Ne faut-il pas y voir la main des lobbyistes de tous bords, et ceux du BTP en particulier ?

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