L’accord UE-Mercosur risque d’accélérer la déforestation, selon les experts

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Article Le Monde – La commission formée par l’ancien premier ministre Edouard Philippe a rendu des conclusions sévères quant à l’accord signé en 2019 entre l’Union européenne et le Brésil, l’Argentine, le Paraguay et l’Uruguay.Par Julien Bouissou

(Déforestation de l’Amazonie dans l’Etat de Para, au Brésil, en 2019. NELSON ALMEIDA / AFP ) L’accord commercial entre l’Union européenne (UE) et le Mercosur est une « occasion manquée » en matière environnementale et sanitaire. C’est la conclusion sévère du rapport de la commission d’experts formée par l’ancien premier ministre Edouard Philippe, auquel Le Monde a eu accès, pour évaluer l’impact de l’accord de libre-échange sur le développement durable. Signé à l’été 2019 après vingt ans de négociation, il doit encore être ratifié par chaque Etat membre de l’UE et le Parlement européen avant d’être mis en œuvre.

Dans le document de 194 pages, remis vendredi 18 septembre au premier ministre, Jean Castex, l’hypothèse la plus probable retenue par les experts est celle d’une déforestation à un rythme annuel de 5 % pendant les six années suivant la mise en application de l’accord, soit un total de 700 000 hectares. Autrement dit, le coût environnemental mesuré à partir des émissions supplémentaires de CO2, à un coût unitaire de 250 dollars la tonne, serait plus élevé que les bénéfices économiques.

La commission fonde ses calculs sur la déforestation provoquée principalement par la création de pâturages pour augmenter la production de bœuf dans les quatre pays du Mercosur : le Brésil, l’Argentine, le Paraguay et l’Uruguay. L’élevage de bœuf y est en effet, bien souvent, la première étape de la déforestation avant de laisser place aux cultures agricoles.

Impact « difficile à quantifier »

Le bilan carbone de la production d’un kilo de bœuf est aussi trois fois supérieur en Amérique latine par rapport à l’Europe, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Cette hypothèse est toutefois loin de faire le consensus dans la commission, qui rassemblait un représentant de la filière bovine, des économistes, un vétérinaire ou encore un spécialiste du droit. Pour certains, le coût environnemental est largement sous-estimé, car le rapport ne prend pas en compte d’autres vecteurs de la déforestation comme la culture de soja, celle du maïs, ou encore l’élevage de volailles.

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« Il est beaucoup plus difficile de quantifier leur impact sur la biodiversité », justifie Stefan Ambec, économiste de l’environnement à la Toulouse School of Economics et président de la commission. D’autres estiment au contraire que l’impact a été surestimé, si l’on retient l’hypothèse d’une faible augmentation des exportations de bœuf à destination de l’Union européenne, ou encore d’une intensification de l’élevage qui permette d’éviter la création de nouveaux pâturages. La baisse des droits de douane prévue dans l’accord ne concerne qu’un contingent de 99 000 tonnes de viande de bœuf, alors que la production du Mercosur s’élève à 8 millions de tonnes.

L’accord fait également l’impasse, selon la commission, sur de nombreux aspects sanitaires. Des produits comme les pesticides, interdits d’utilisation en Europe, sont autorisés dans les pays du Mercosur. « Il faudrait sans doute mieux définir les cahiers des charges, notamment sur le bien-être animal, et les intégrer dans les textes », suggère Stefan Ambec.

« Incompatible avec le Green Deal »

Une étude d’impact, commandée par Bruxelles à l’université britannique de la London School of Economics et publiée en juillet, affirmait que cet accord de libre-échange n’entraînerait aucune émission de gaz à effet de serre supplémentaire. « Mais cet audit sous-estime l’impact sur les émissions de gaz à effet de serre, analyse Stefan Ambec, car le modèle standard utilisé ne prend pas en compte l’usage des terres, et minimise les conséquences de la déforestation. »

La commission s’est intéressée par ailleurs à l’impact climatique, relativement faible selon elle, de la hausse de la production industrielle. Au Brésil, au Paraguay ou en Uruguay, où la production d’électricité d’origine hydraulique est importante, le bilan carbone du mix énergétique n’est pas si éloigné de celui de l’Europe, alors qu’en Argentine il est supérieur d’environ 30 %. Les exportations de technologies européennes dans la production d’énergie propre, comme l’éolien ou le solaire, facilitées par l’accord de libre-échange, n’auraient donc qu’un impact limité.

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« L’accord avec le Mercosur est incompatible avec le Green Deal européen et les enjeux planétaires », conclut Mathilde Dupré, de l’Institut Veblen, un think tank spécialisé dans les réformes économiques nécessaires à la transition écologique. Accusé d’accélérer la déforestation, l’accord prévoit pourtant des clauses sur la protection de la biodiversité et la lutte contre le changement climatique. Mais ces dernières sont non contraignantes et « offrent des garanties relativement fragiles », regrette la commission Ambec. « Le contenu de l’accord avec le Mercosur n’est pas cohérent avec les orientations politiques affichées par Bruxelles, observe Sébastien Jean, directeur du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII) et membre de la commission Ambec. Les aspects commerciaux dominent largement le reste. »

« Déforestation continue »

Comment Bruxelles peut inciter ou contraindre ses partenaires à adopter des politiques vertueuses en matière sociale ou environnementale grâce à ses accords de libre-échange ? C’est l’un des enjeux de la consultation lancée en juin par la Commission européenne pour la révision de sa doctrine commerciale, attendue pour début 2021.

Les accords commerciaux pourraient servir de leviers de négociation importants afin d’obtenir des avancées dans les domaines du changement climatique, de la biodiversité ou des droits de l’homme. Or les ONG accusent l’UE de ne pas considérer suffisamment les problématiques sanitaires et environnementales dans ses accords. « De nouvelles clauses environnementales et sociales ont été intégrées aux accords commerciaux, mais les réticences de l’Union européenne à les appliquer dans le passé incitent à la prudence sur leur efficacité », estime Sébastien Jean, qui reconnaît toutefois que « la Commission a obtenu des résultats par la coopération plutôt que par la contrainte ».

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Les Parlements autrichien et néerlandais ont déjà rejeté l’accord avec le Mercosur sous sa forme actuelle. Berlin, pour qui la mise en œuvre du texte ouvrirait de nombreux débouchés à son industrie automobile, a récemment fait volte-face. La chancelière Angela Merkel a pour la première fois, le 21 août, émis de « sérieux doutes » sur l’accord, pointant du doigt la « déforestation continue » et « les incendies ».

A l’été 2019, le président français, Emmanuel Macron, avait menacé de ne pas le ratifier si le gouvernement brésilien de Jair Bolsonaro ne prenait pas les mesures nécessaires pour protéger la forêt d’Amazonie. Pour l’Institut Veblen et la Fondation Nicolas Hulot, l’accord devrait donc être abandonné. « On ne peut pas se contenter de déclarations politiques d’Emmanuel Macron vis-à-vis de Jair Bolsonaro, estime Samuel Leré, responsable du plaidoyer à la Fondation Nicolas Hulot, car elles laissent planer une ambiguïté sur une signature ou non de l’accord avec le Brésil, quel que soit son dirigeant. »

 

 

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