TRIBUNE LIBRE – Pierre Recarte alerte sur la tendance actuelle en faveur d’un partenariat public-privé pour financer les projet LGV, qu’il qualifie de “spirale infernale”. « LGV, l’État recule, le privé avance dans la discrétion » | Ekonomia | MEDIABASK
« Les LGV ne sont plus une priorité, le réseau existant s’effondre : 3 000 kilomètres de lignes fermées en une décennie, mais aussi 4 000 kilomètres à rénover d’ici 2028 et 10 000 kilomètres dans dix ans. SNCF Réseau, auteur de ce constat, ne peut plus financer. Où trouver les financements nécessaires ?
L’État défaillant – L’État étudierait, selon une note interne de Bercy, révélée par la presse, son désengagement éventuel du financement du Grand Projet Sud-Ouest (GPSO). En 2021, Jean Castex, alors Premier ministre, avait acté une participation de l’État de 40% sur les 14 milliards devenus désormais 16 à 17 milliards en euros courants. Il faut “réactualiser les coûts du projet, qui pourraient être revus à la hausse” au vu de l’inflation, avait déjà demandé le Conseil économique, social et environnemental régional (Ceser) aquitain.
“Le projet se fera, c’est certain. La question, aujourd’hui, est surtout budgétaire”, affirme la région Nouvelle-Aquitaine. Pour financer les trois lots arrêtés par SNCF Réseau pour lancer les appels d’offres, l’État devait payer 120 millions, ce sont les collectivités locales qui ont fait l’avance, sans engagement écrit de remboursement !
Au sein des pro-LGV, la colère gronde. Christophe Huau, en charge du GPSO pour la SNCF, tente de rassurer : “On a tout le financement que l’on souhaite pour avancer au rythme prévu” et “on s’adaptera aux décisions des pouvoirs publics”.
Qui va payer ? –
Les difficultés budgétaires de l’État et les préconisations de Bercy ont de quoi semer le doute. Le plan de financement ne prévoit pas que les collectivités locales se substituent à l’État. D’autres pistes de financement pérenne sont à explorer. Tel est l’objectif de la conférence Ambition France transports formée par des élus (400), des professionnels et des économistes. Elle réfléchit aux modes de financement nécessaires à la modernisation des réseaux ferrés, tout en préservant les deniers de l’État. Ses conclusions sont attendues pour mi-juillet. “Nous sommes à un point de bascule où la rénovation est un élément important, qui doit s’ajouter aux nombreux chantiers qui sont devant nous”, rappelle Éric Lombard, le ministre de l’Économie et des finances.
Le privé à la rescousse ? – “Il est indispensable d’améliorer les montages permettant de mobiliser efficacement les financements privés”, plaide le ministre des Transports, Philippe Tabarot. Il défend le modèle du partenariat public-privé (PPP) de la LGV Tours-Bordeaux. Mathieu Chabanel, directeur général de SNCF Réseau, lui emboîte le pas. Même Dominique Bussereau, président de la conférence sur le financement et ancien secrétaire d’État aux transports, y va de son couplet : “Les financements de l’État sont malheureusement moins abondants que par le passé, un PPP serait le bienvenu”. Les majors du secteur du bâtiment public sont déjà sur la ligne de départ, attirés par les prix excessifs des péages pratiqués par Lisea, le concessionnaire privé de la LGV entre Tours et Bordeaux. Ceux-ci lui permettent de rétribuer largement ses actionnaires. Enthousiaste, Lisea récidiverait bien. Dans sa contribution écrite à la conférence, elle considère le PPP comme une “référence pour l’avenir”, présentant “un potentiel de transposition significatif pour les projets ferroviaires en cours de développement”.
Rappelons que pour faire face au prix élevé des péages, en constante augmentation entre Tours et Bordeaux, la SNCF a dû augmenter le prix des billets pour ne pas aggraver son déficit annuel d’exploitation sur cette ligne : 87 millions en 2019. Un déficit chronique qu’Alain Rousset ne mentionne jamais, préférant parler d’un “succès populaire”.
Christophe Huau observe : “Il y a moins de trafic sur la ligne Bordeaux-Toulouse que sur Tours-Bordeaux, donc les retombées seraient moins intéressantes pour le concessionnaire”. Effectivement, et encore moins sur Bordeaux-Espagne !
Nous entrerons alors dans une spirale infernale. En effet, le Commissariat général à l’investissement, qui a expertisé le GPSO à la demande de l’État en 2018, relevait parmi ses principales faiblesses “un projet à la valeur actualisée nette par euro investi limitée” et “une forte dépendance à la réalisation du trafic prévu”.
Le trafic étant insuffisant, le concessionnaire privé augmentera le prix des péages, la SNCF sera contrainte d’augmenter considérablement le prix des billets. La fréquentation diminuera… Une boucle sans fin.
Voilà le schéma délétère auquel nous exposent le duo d’inconditionnels de la LGV que sont Alain Rousset et Carole Delga, aidés par le ministre des Transports et Dominique Bussereau. Celui-ci n’hésite pas à déclarer : “Si l’État ne rembourse pas les avances consenties par les collectivités, le projet sera coincé. Le PPP serait une solution pour avancer rapidement”.
Nos décideurs feraient mieux de méditer cette pensée : “Il faut distinguer la ténacité de l’obstination : savoir insister et persévérer au bon moment, savoir aussi se retirer et renoncer quand il le faut”. À bon entendeur…
P.Recarte, vice-président du CADE.