LGV : histoire d’un feuilleton politico-médiatique

Par Pierre Recarte Vice président du CADE

 Le 15 septembre 2011, Nathalie Kosciusko-Morizet et Thierry Mariani, ministre des Transports ouvraient les Assises du ferroviaire chargées de définir le modèle ferroviaire de demain et les défis à relever.

Des conclusions limpides

Les rapports sont rendus public le 15 décembre. Les conclusions de la commission n°3 « l’économie du ferroviaire »1 ont retenu toute notre attention et celle de la presse : « Un peu moins de quinze ans après la réforme de 1997, le modèle économique du ferroviaire en France se trouve dans une impasse, qui débouche sur une situation financière insoutenable en terme de déficits et d’endettement »
Le SNIT (schéma national des infrastructures de transports) issu des engagements du Grenelle de l’environnement, prévoyait le lancement de 2.000 km de nouvelles LGV avant 2020 sans le début d’un financement.
La commission s’interroge sur « le caractère réaliste de ces objectifs » et constate « l’impossibilité à mener de front la remise en état du réseau existant et la poursuite du développement du réseau à grande vitesse »
La commission conseille de « reconnaître la rénovation du réseau comme une priorité absolue, de suspendre toute nouvelle opération de développement de même que la poursuite de nouvelles de renforcer l’évaluation externe des projets.
Concernant le financement des investissements la commission édicte « une règle d’or  interdisant le recours à l’endettement du gestionnaire du réseau (ndlr RFF) et en mettant fin à la règle de cofinancement des collectivités locales ».
Enfin, « 
dans un souci d’amélioration de la gouvernance des investissement » elle suggère « la prise en charge par l’Etat du coût des nouveaux projets. »

Une succession de rapports dans le même sens

Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault commande toute une série de rapports accusant le précédent gouvernement d’avoir commis « une erreur et un mensonge » en laissant croire que l’on pourrait investir 250 milliards d’euros en vingt ans.
C’est d’abord Jean Louis Bianco qui préconise de donner une « priorité absolue à la rénovation du réseau existant pour améliorer la qualité du service, en premier lieu pour les trains de la vie quotidienne qui concernent 90% des voyageurs2 ». Il conseille même de développer une offre de trains circulant à 200km/h sur le réseau existant pour offrir un « service de très bonne qualité ».
Ensuite, Jacques Auxiette conseille « que nous sortions de cette logique du  toujours plus vite 3 » et engage l’Etat à se déterminer : « Le contexte budgétaire actuel impose de faire des choix clairs : développement tous azimuts du train à grande vitesse, vitrine du ferroviaire français, ou transports duquotidien ? »
Enfin, pour la commission Mobilité 21, « l’urgence de la politique d’infrastructure de l’Etat doit être d’assurer l’entretien et la modernisation de l’existant. Cela passe par une mobilisation de financements suffisants.4 »
Jean-Marc Ayrault semble avaliser ces rapports : ses déclarations, en juillet dernier, laissent penser que le message est retenu. Il annonce, en se situant dans le scénario le plus optimiste5, la construction avant 2030 de la seule LGV Bordeaux-Toulouse.

Une levée de boucliers des pro-LGV

Cette décision engendre un vent de panique chez les thuriféraires des LGV. Nombre de ceux qui poussent pour un réseau LGV sans limite s’insurgent qu’il soit mis sous l’éteignoir des contraintes budgétaires.
A partir de ce moment-là se déroule un intense ballet où s’agitent lobbyistes, politiques de droite comme de gauche, conseillers divers, ennemis d’hier, amis d’aujourd’hui. Ministères assiégés, demandes d’audience, courriers, mobilisation dans les médias, déclarations tonitruantes, intimidations, menaces diverses, tout ce répertoire s’exécute sous la baguette de quelques grands élus.

Le 21 octobre, Alain Rousset déclare : « J’ai des assurances du gouvernement selon lesquelles, concomitamment à Bordeaux-Toulouse, la ligne ira aussi jusqu’à Dax et les études jusqu’à Hendaye seront poursuivies. J’en suis heureux et fier. »

Deux jours plus tard, le ministre répondant à une question du député Jacques Moignard, confirme : « Le projet de LGV Bordeaux-Toulouse sera, conformément aux volontés et aux conclusions de la commission “Mobilité 21”, lancé et mené à son terme.6 » Quelques heures plus tard, il annonce au quotidien Sud Ouest7, Bordeaux-Dax en 2027 et l’arrivée à la frontière au plus tard en 2032.
Cette déclaration est manifestement destinée à amadouer les collectivités territoriales récalcitrantes afin qu’elles honorent leur engagement à financer le tronçon Tours-Bordeaux.

La reculade gouvernementale

Le gouvernement a plié devant le chantage politique de certains grands élus régionaux obnubilés par le prestige de la grande vitesse ferroviaire et cédé au mortifère lobbying du BTP. Ainsi, le ministre des Transports annonce Bordeaux-Dax en 2027 et une arrivée à la frontière espagnole avant 2032. Sont relancés Montpellier-Perpignan, Poitiers-Limoges, la POCL, la LGV Paca. François Hollande assure que les travaux de la LGV Lyon-Turin  pourront être engagés fin 2014. Ainsi plus de 38 milliards d’euros sont de nouveau engagés depuis l’annonce de juillet par Jean-Marc Ayrault.

Alors à quoi ont servi les différents rapports ?

« Le TGV rend fou », écrit Gilles Savary sur son blog8.
Effectivement, une folie très dangereuse, car elle est entretenue tout à la fois par le président de la République, le Premier ministre et les grands élus de province, de droite comme de gauche.
Quel psychiatre raisonnera tous les acteurs de cette triste comédie en demandant à l’Etat de s’occuper de la dette, à RFF de se consacrer à l’entretien du réseau, à la SNCF d’assurer sa mission de transporteur et aux grands élus d’agir dans l’intérêt de tous les citoyens ?

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1. Réf. Internet : http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/AF-rapport_com3.pdf
2. « Réussir la réforme du système ferroviaire. Recommandations avril 2013 », p. 6.
3. Un nouveau destin pour le service ferroviaire français, p.54.
4. Page 15 du rapport
5. La Commission Mobilité 21 prévoyait, qu’après 2018, 8 à 10 milliards d’euros pourraient être mobilisés jusqu’en 2030 grâce à un « effet de levier » s’appuyant sur les ressources de l’AFIFT
6. Séance du 23 octobre 2013.
7. Sud Ouest du 23 octobre 2013.
8. En date du 24 octobre. http://www.gilles-savary.fr/category/mon-blog/
 
 
 
 
 
 
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